Il fait beau depuis le début du Festival de Lanaudière et tous souhaitent que le charme dure au moins jusqu'à la venue de Dutoit et le Philadelphia Orchestra le week-end prochain. Samedi soir, Marie-Nicole Lemieux y avait attiré quelque 3 500 personnes. La chanteuse était au sommet de sa forme et l'auditoire lui fit, à la fin du concert, plus qu'une ovation monstre: on ne voulait tout simplement pas la laisser partir! «On n'est pas pressé!» lança même un spectateur.

Paraissant dans deux robes différentes, avant et après l'entracte, Mme Lemieux avait programmé le cycle Les Nuits d'été de Berlioz en première partie et, ensuite, les grands airs de Werther, Les Troyens et Samson et Dalila.

Les nouveaux écrans géants de l'Amphithéâtre, qui grossissaient les doigts d'Alain Lefèvre la veille, magnifiaient dans les moindres détails le mécanisme vocal et l'expression de la chanteuse. Ces écrans apportent une dimension additionnelle au Festival et un prolongement à chaque événement. Certains les critiquent. Je réponds: comme pour les surtitres à l'opéra, vous n'avez qu'à ne pas les regarder!

Marie-Nicole Lemieux avait mémorisé son programme entier (ce qui n'est pas le cas de tous les chanteurs!) et elle l'a livré avec une générosité et une beauté vocale indiscutables, auxquelles s'ajoutait le plaisir d'entendre du français bien articulé et enfin chanté sans accent étranger. La tessiture et la couleur sont encore celles d'un grand mezzo et non d'un authentique contralto, quoique, dans la troisième mélodie du cycle de Berlioz, la chanteuse donne maintenant la note facultative grave, ce qu'elle ne faisait pas il y a quelques années. Une grande partie du public a applaudi après chacune des mélodies du cycle, ce qui en rompait la continuité. Chanteuse et chef ont fait quelques signes à cet égard, mais d'une façon trop discrète.

La chanteuse a cependant tendance à surinterpréter ici et là. Le cycle de Berlioz passe la rampe sans ces excès. Ainsi, il n'est pas nécessaire de mettre tant d'emphase sur une exclamation comme «Que mon sort est amer!» Tout est dans le texte. Par contre, le cri de la Charlotte de Werther, «Ah! ce dernier billet me glace et m'épouvante!», nous faisait passer des limites du concert à la brutale réalité du spectacle.

Que «Marie-Nicole», comme tous l'appellent, s'abandonne à des pitreries dans la Habanera de Carmen, la chose ne me gêne pas: nous en étions à la période des rappels et le sujet s'y prête. Mais je trouve déplacée cette façon qu'a la chanteuse de «sortir de son personnage», comme on dit dans le métier. À peine venait-elle de nous bouleverser avec son air de Werther que l'instant suivant la trouvait toute souriante et rigolant avec les musiciens autour d'elle. Quelle inconscience!

L'un des aspects les plus satisfaisants de cette soirée fut la direction de Jean-Marie Zeitouni et la prestation de cet Orchestre du Festival qui groupe 80 musiciens venus de la plupart de nos formations locales, y compris l'OSM. Dans l'acoustique transparente et riche en basses de l'Amphithéâtre, ce «pick-up» de luxe produisit, tel un grand orchestre, 30 minutes d'envoûtant Wagner, un poétique Berlioz aux cors se répondant de part et d'autre du lieu, et une étourdissante Bacchanale de Saint-Saëns.

ORCHESTRE DU FESTIVAL. Chef invité: Jean-Marie Zeitouni. Soliste: Marie-Nicole Lemieux, mezzo-soprano. Samedi soir, Amphithéâtre Fernand-Lindsay de Joliette. Dans le cadre du 34e Festival de Lanaudière.

Programme :

Ouverture (1845) et Venusberg (1861) de Tannhäuser - Wagner

Les Nuits d'été, op. 7 (1834-56) - Berlioz

Air des lettres de Werther (1892) - Massenet

Chasse royale et Orage et air de Didon: «Je vais mourir» de Les Troyens (1863) - Berlioz

Bacchanale et air de Dalila : «Mon coeur s'ouvre à ta voix» de Samson et Dalila (1877) - Saint-Saëns