Si la scène est l'art vivant par excellence, personne ne l'a mieux compris que Gilles Vigneault. À quelques jours de son 80e anniversaire, ce diable d'homme donne au TNM un spectacle complet où se conjuguent énergie, beauté et humour.

D'entrée, Vigneault y va d'une déclaration d'amour qui donnera le ton à la soirée: «La chanson, chante-t-il, c'est la voix immense qui parle au nom du coeur humain.» Des chansons, l'homme en a de tous les genres, et il s'amusera à nous les décliner en un peu plus d'une heure et demie: chanson animalière ou botanique, chanson folklorique ou généalogique, chanson d'amour toujours. Et même si ces chansons magnifiques ont connu d'autres interprètes, elles ne seront jamais mieux servies que par ce chanteur atypique qui a fait sa place à une époque où on n'en avait que pour les «belles voix».

 

Vigneault a encore et toujours une énergie débordante et contagieuse. Les spectateurs qui, en début de soirée, chantonnaient timidement le classique Si les bateaux finiront par entonner avec conviction le refrain de la toute récente C'est à Natashquan. Quand il joue les chefs de chorale, balançant les bras qu'il a grands, Gilles Vigneault ne fait pas de discrimination entre anciennes et nouvelles chansons.

Il y a dans ce spectacle une saveur indéniablement vieille école. Après la plupart des chansons, le chanteur retraite vers le rideau noir au fond de la scène, seul élément d'un décor inexistant. Ses cinq musiciens, sous la direction du pianiste Bruno Fecteau, sont des accompagnateurs dans le sens premier du terme, discrets jusqu'à s'effacer derrière le chanteur qui prend toute la place, et pourtant suffisamment à l'écoute pour le suivre pas à pas quand il ralentit le tempo, fait une pause théâtrale ou trébuche sur des mots, nombreux, pour mieux se relever et continuer son chemin comme si de rien n'était.

Les tics du poète qui peuvent parfois agacer sur disque - ce «fo-rêt» trop appuyé dans le texte Les mots - prennent un bain de naturel au contact de la scène. Le conte moral Lucas l'écolo trouve sa rédemption dans les mimiques et les clins d'oeil de Vigneault, l'acteur-conteur qui joue tous les personnages et désamorce ainsi tout soupçon de prêchi-prêcha. Les spectateurs rigolent à l'écoute de cette chanson à message que ne renierait pas une Bolduc moderne et en font un moment fort de la première partie du spectacle.

Vigneault, on le sait, ne se contente pas de chanter, il gesticule, multiplie les steppettes, mime l'istorlet qui s'envole (Si les bateaux), dessine la boîte de Dévorer des kilomètres, charge la voile avec Jean-du-Sud. Dévorer des kilomètres, explique-t-il justement, est née d'un voyage en famille de 1352 kilomètres jusqu'à Natashquan il y a 30 ans avant de devenir cette belle chanson qu'on dirait tirée du folklore anglais grâce à quelques idées jetées sur un bout de papier retrouvé récemment. Il aurait voulu nous dire que J'ai planté un chêne était à l'origine une imitation du Père Gédéon pour faire rire les copains que personne ne l'aurait cru hier soir, tellement cette immortelle était plus belle que jamais. Parlant de chanson parfaite, la toute nouvelle Je n'ai pas cessé de t'aimer est déjà du nombre.

Quand juste avant le rappel, Vigneault entonne Les gens de mon pays, l'émotion est aussi forte sinon plus que la première fois qu'on l'a entendue. Parce que cet hymne n'a rien perdu de sa puissance, bien entendu. Mais surtout parce que celui qui le chante est un homme fier qui se tient bien droit devant nous. Et qu'avec lui, tout spectacle est un moment d'exception, jamais tout à fait pareil à celui de la veille ou du lendemain.

________________________________________________________________________________

CHEMIN FAISANT de Gilles Vigneault, au TNM jusqu'à samedi.