Avec Ginette Reno, il n'y a aucune règle qui tienne. C'est là une partie de son charme, que dis-je, un élément important de la relation symbiotique qu'elle entretient avec son public et qui fait de la chanteuse un anachronisme vivant qui vend des centaines de milliers de disques et multiplie les supplémentaires en période de profonde morosité économique.

Mais il arrive, comme hier soir à la salle Pierre-Mercure, qu'on se surprenne à souhaiter que Ginette Reno resserre un peu son spectacle, qu'elle le construise méthodiquement pour atteindre un climax, que la femme entière qu'on admire restreigne un peu ses élans de spontanéité pour laisser s'exprimer une chanteuse encore et toujours au sommet de son art à 62 ans.

Mais voilà, Ginette Reno est un livre ouvert. Grand ouvert. Et ce qui commence comme un concert récital où elle célébrera dans sa chronologie une carrière de 50 ans se transforme bientôt en une suite de chansons entrecoupées d'interminables monologues, souvent drôles il est vrai, mais parfois juste un peu trop... intimes.

Quand, d'entrée, elle ressasse ses souvenirs d'école et chante Les trottoirs de Raymond Lévesque et l'immortelle Granada avec tout le chien dont elle est capable, on ne voudrait être nulle part ailleurs, même si la chaleur se fait déjà écrasante dans la salle. Puis elle enchaîne rapidement avec On aime encore une fois et se déhanche joyeusement sur le rock d'Indépendante ou dépendante, très applaudie. C'est alors que ça se gâte, que les anecdotes familiales, amoureuses ou professionnelles s'accumulent comme si elle n'avait pas compris ce que son public sait depuis longtemps: il suffit que Ginette Reno chante pour qu'on ait l'impression de la connaître au plus profond de son intimité. Le reste, sa visite à un psy un peu charlatan sur les bords, la déclaration d'amour du père Sablon, ses intentions suicidaires et son dîner au blé d'Inde avec le prince Charles, nous fait presque regretter qu'elle ne se garde pas une petite gêne.

Parce qu'on aime Ginette Reno et qu'on est d'abord venus l'entendre chanter. Ce qu'elle fait magnifiquement pendant l'émouvante Quand on se donne, L'essentiel que le public acclame et Fais-moi la tendresse qu'elle chante avec Marc Hervieux plus tôt que prévu pour lui permettre de retourner à l'opéra. Malheureusement, le concert se termine sur des chansons moins fortes dont, en rappel, Je cherche l'or du temps, de Charles Dumont et Raymond Mamoudi, où les passages récités sur un ton emprunté tranchent trop avec ce que la chanteuse nous a donné à entendre jusque-là.

Autour d'elle, 14 musiciens et chanteurs, sous la direction de Pascalin Charbonneau, fils de la chanteuse, font un travail efficace et discret, ne se permettant de courts solos que pendant un blues où Ginette Reno vole encore la vedette. Et c'est fort bien ainsi.