Rencontre hors du commun, hier - et de nouveau ce soir -, à la Cinquième salle de la PDA, entre l'écrivain français Philippe Djian et le chanteur suisse Stephan Eicher: depuis près de 30 ans, le premier est le parolier du second, qui compose des musiques sur ses textes. Mais cette rencontre, c'est d'abord celle, devant public, de deux amis, deux proches, comme il en est question dans l'une de leurs collaborations musicales les plus réussies: la chanson Pas d'ami (comme toi).

Rien n'est pourtant plus dissemblable, physiquement, que Djian et Eicher: le premier porte t-shirt noir et jeans à la Lou Reed, le second a revêtu un costume trois pièces élégant. Philippe sourit peu, sinon à son copain, Stephan, au contraire, rit à tout propos. Si l'écrivain possède un timbre de voix impeccable pour lire - il laisse aux mots le soin de révéler leurs intentions -, le compositeur-interprète, lui, module le texte, le fait chanter. Bref, ils sont profondément différents.

 

Et pourtant, ce concert littéraire d'une heure, proposé dans le cadre du Festival international de littérature, démontre la connivence à tout crin qui les lie. «Avec ce spectacle, on ne prend pas de risque, on prend du plaisir», a expliqué en entrevue il y a quelques jours Djian. Et c'est exactement ça. Du plaisir, qu'ils partagent avec ceux qui sont dans la salle.

Parfois, Djian récite pendant qu'Eicher l'accompagne à la guitare. Ou Eicher chante et Djian psalmodie le refrain avec lui. Ou tous deux chantent. Ou pas. L'un raconte une anecdote, l'autre la commente. Ils se tirent la pipe, ironisent un brin, s'interrompent, s'interrogent sur qui fait quoi dans la prochaine chanson («c'est moi qui fais tout le travail» lance régulièrement Djian), se fichent gentiment de la gueule du copain...

Écrites entre 1986 et 2006, les chansons Pas d'ami (comme toi), Confettis, Dis-moi où, Pas déplu (paroles ET musique de Djian), Rivière, La voisine, Voyage (une de mes préférées, tant le texte est fort) et bien sûr Déjeuner en paix vont ainsi devenir autre chose par la grâce de leur amitié.

D'autres textes non finis ont droit à une lecture mise en musique, un texte fini a au contraire perdu sa mélodie en chemin («elle n'était pas à la hauteur» dit le chanteur-compositeur) et Djian lit même la première page du roman sur lequel il travaille actuellement pendant qu'Eicher improvise avec sa guitare à partir de ces mots inédits (il y est entre autres question d'un prof de 53 ans qui ramène dans sa Fiat une jeune femme qui sera bientôt»terriblement morte»).

Et parmi les mots écrits pour devenir chansons, les musiques écrites pour ces mots, on entend sourdre le son unique de l'affection. Comme une petite vibration qui colore constamment leurs voix, leurs gestes. Une amitié telle qu'elle leur permet d'être plus simples, plus eux-mêmes, devant et malgré nous.

«Je ne serais pas ici si ce n'était de toi», a lancé un moment donné Philippe à Stephan.»Et réciproquement, a rétorqué Stephan, tu te rends compte, si j'avais chanté en suisse-allemand?» Et dans leurs rires, par leurs regards, ils se disaient merci.

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Concert littéraire de Philippe Djian et Stephan Eicher, ce soir à la Cinquième salle de la Place des Arts. Infos: www.festival-fil.qc.ca