Si on pouvait tout effacer et repartir à zéro, on remplacerait sans hésiter le premier concert à vie qu'a donné Steely Dan à Montréal, le 1er juillet 2008, par celui, magnifique, auquel on a eu droit samedi, à la salle Wilfrid-Pelletier. La perfection n'est peut-être pas de ce monde, mais Donald Fagen, Walter Becker, leurs huit musiciens et trois choristes y ont presque accédé sous nos yeux.

Rien à voir avec le concert impeccable mais un peu froid de l'an dernier. Cette fois, il y avait de l'émotion véritable, des moments de pure beauté, et la délicieuse sensation que les musiciens sur scène s'amusaient tout autant que le public, attentif et très enthousiaste. Le chanteur, claviériste et chef d'orchestre Donald Fagen était drôle, généreux et allumé, tout le contraire du gars qui, l'an dernier, avait demandé au public s'il était toujours là.

Tout cela s'explique. D'abord, le concert de samedi a démarré en force. Dès le départ, on se serait cru beaucoup plus tard dans la soirée quand un artiste enfile ses gros canons pour faire lever la salle. La clé? L'album Aja, un chef-d'oeuvre qui n'a pas pris une ride depuis 1977 et que Steely Dan nous a joué d'un bout à l'autre pendant les 50 premières minutes du concert : Black Cow, Aja, Deacon Blues, Peg, Home At Last, I Got the Blues et Josie, rares sont les groupes qui ont fait autant de bonnes chansons dans toute une carrière! En plus, ces immortelles ont été jouées très fidèlement avec ce supplément d'âme qui rend les concerts mémorables. L'an dernier, Steely Dan n'avait pas joué l'ambitieuse Aja, mais après l'avoir entendue l'année précédente à Boston, je m'étais dit qu'il était sans doute impossible d'en rendre toute la richesse sur scène, surtout sans le saxophoniste Wayne Shorter. Je m'étais trompé: samedi, elle était plus belle que jamais.

Autre atout majeur: après Aja, Fagen et Becker ont pigé dans leur vaste répertoire des chansons que leur public tenait à entendre, de Bodhisattva à la rarissime et combien appréciée Reelin' in the Years, en guise de rappel. On a également eu droit à Black Friday, My Old School, Kid Charlemagne, Don't Take Me Alive, Babylon Sisters, Hey Nineteen et même Dirty Work que les trois choristes ont chantée, un peu à la manière des Pointer Sisters, puisque le chanteur d'origine, David Palmer, a quitté Steely Dan tout de suite après l'enregistrement de leur premier album en 1972. Ces chanteuses et chacun des musiciens, tous excellents, y sont pour beaucoup dans le succès de ce concert. Je pense aux cuivres, bien sûr, mais surtout au très énergique batteur Keith Carlock et au fabuleux guitariste - et directeur musical - Jon Herington.

Le fait que c'était le tout dernier concert de la tournée a sûrement contribué à cette fébrilité palpable des grandes soirées. Au rappel, l'équipe de la tournée est même venue saluer sur scène et Becker a serré la pince de chacun de ces gars qui travaillent dans l'ombre. Un beau moment.

Si Steely Dan nous avait donné un spectacle de cette intensité et de cette qualité l'an dernier, on n'aurait sans doute pas dû annuler le deuxième concert qui devait avoir lieu à Wilfrid-Pelletier dimanche autour de l'album The Royal Scam. Je parie même que plusieurs des spectateurs comblés de samedi y seraient retournés. Ça sera pour une autre fois.