Avec tous ces concerts-bénéfice qui ont lieu depuis une semaine pour Haïti, on finit un peu par s'y perdre. Mais je n'aurais personnellement, et pour rien au monde, manqué le spectacle L'Union fait la force qui avait lieu hier au Théâtre Telus. Parce que cette soirée, annoncée avec beaucoup d'émotion dès le lendemain du séisme, est l'une des seules à avoir été directement organisées par des Haïtiens de Montréal, pour ne pas dire des jeunes Haïtiens de Montréal.

La précision est importante. Car cette nouvelle génération, qui fait parfois les manchettes pour d'autres raisons, a donné hier la pleine mesure de son immense potentiel et fait preuve d'une puissance mobilisatrice insoupçonnée.

Elle nous a aussi fait découvrir un Montréal haïtien que l'on connaît moins, celui plus underground, du kompa, du hip-hop, du soul et du R'n'B, avec des artistes qui parviennent rarement à passer la rampe du mainstream québécois. Drôle à dire, mais il aura fallu une catastrophe pour que les grands médias s'intéressent à eux - et, soyons honnêtes, cela nous inclut aussi.

Il y avait évidemment les têtes d'affiche, pas forcément haïtiennes. Corneille a viré la salle à l'envers avec sa version acoustique de Parce qu'on vient le loin. Loco Locass, Dan Bigras, Dubmatique les Colocs, Paul Piché et Linda Thalie sont venus faire leur tour.

Et puis il y avait les Québécois d'origine haïtienne. Entre l'harmoniciste Bad News Brown, le groupe kompa Ti-Kabzy, le chanteur R'n'B Marc-Antoine et l'auteur-compositeur acoustique Marco Volcy, l'événement de la soirée reste sans doute la reformation du groupe hip-hop Muzion, dont on n'entend plus aujourd'hui parler que par albums solos interposés.

Angelo Cadet, Penelope McQuade, Herby Moreau et Dice B se chargeaient de l'animation, alors que diverses personnalités publiques sont venues faire leur pitch toute la soirée. À ce chapitre, bon point au politicien Emmanuel Dubourg, qui a habilement résumé l'étonnante fraternité québéco-haïtienne. «Notre nouvelle devise sera désormais: Je me souviens que l'Union fait la force.»

«Je redeviens haïtien»

Au total, plus de 60 artistes participaient à ce concert-bénéfice donné dans l'allégresse, parce que la meilleure façon de défier la mort, c'est encore de célébrer la vie.

La preuve par cet exubérant Dominique, Haïtien dans la cinquantaine, qui se déhanchait devant moi comme s'il s'agissait d'une fête au champagne. «Quand je suis arrivé ici, j'ai mis Haïti de côté, me disait-il pendant le spectacle. Mais avec tout ce qui se passe en ce moment, on dirait que je redeviens haïtien. Ça m'aura pris 35 ans...»