On l'a déjà dit, Greg Keelor et Jim Cuddy sont les Lennon et McCartney canadiens: deux chanteurs et musiciens de grand talent qui ont pondu des bijoux de chansons par dizaines et dont la complémentarité fait de Blue Rodeo un groupe d'exception. Les chanceux qui leur ont fait un triomphe samedi dans une salle Wilfrid-Pelletier comble vous le confirmeront.

Cuddy c'est le beau gosse qui ne semble pas vieillir, le chanteur de ballades à la chemise western qui sourit tout le temps, tandis que Keelor est le rocker à la voix et la guitare écorchées qui fait rimer coeurs brisés avec cruauté et beauté. Pour Cuddy, la Place des arts évoque le concert de Bob Dylan et The Band dont son frère est revenu transformé;  Keelor, lui, se souvient plutôt d'une représentation mortelle d'ennui de The Sound of Music où l'avait traîné une religieuse!

Mettez ces deux gars si dissemblables ensemble et tout - et son contraire - devient possible. Appelons ça le miracle Blue Rodeo: Cuddy qui prend des solos de guitare incendiaires pendant Trust Yourself et Diamond Mine et Keelor, tout aussi méconnaissable, qui chante la superbe Gossip avec pour seul accompagnement sa guitare acoustique, un violon, un violoncelle et une flûte devant un public captivé.

Blue Rodeo n'a probablement jamais été aussi beau à voir en 25 ans de carrière que samedi. Les chansons plus récentes de l'excellent album double The Things We Left Behind - du rock épique de All The Things That Are Left Behind aux ballades country-rock And When You Wake Up et Waiting for the World que leur envieraient même les Eagles - prenaient tout naturellement leur place parmi les mieux connues Head Over Heels et It Could Happen To You et les immortelles comme Hasn't Hit Me Yet, que les fans ont encore chantée à s'en époumoner.

La force de Blue Rodeo c'est aussi le talent et la cohésion des autres membres du groupe: Michael Boguski, dont le jeu au piano rappelle parfois l'Elton John des débuts (Don't Let the Darkness in Your Head) et qui passe élégamment du piano électrique à l'orgue Hammond B3 pendant Diamond Mine; l'extraordinaire batteur Glenn Milchem; Bob Egan dont la pedal steel guitar est indissociable du paysage musical; et le toujours effacé Bazil Donovan, le Bill Wyman de Blue Rodeo, qui s'est permis un court  solo de basse pendant Lost Together.

Les accompagnaient samedi la violoncelliste Amy Laing ainsi que la flûtiste Julie Fader et le guitariste Wayne Petti du groupe country-rock Cuff the Duke, qui se produisait en lever de rideau, et dont les voix se fondaient à merveille dans le son Blue Rodeo. Sans oublier la sautillante violoniste Anne Lindsay à qui le guitariste Keelor a volontiers cédé toute la place pendant 5 Days in May et qui s'en est tirée avec la première ovation de la soirée!

C'était justement le genre de soirée où tout est permis, on l'a compris quand Blue Rodeo s'est amené sur scène au son de The Lonely Bull, le premier succès de Herb Alpert and the Tijuana Brass. L'instant d'après, les voix de Cuddy et Keelor se mariaient dans l'irrésistible Never Look Back et nous entraînaient à leur suite jusqu'au rappel: Til I Am Myself Again, l'inévitable Montreal et, pour finir en beauté, l'hymne Lost Together repris par les 13 musiciens de Blue Rodeo et Cuff the Duke et une chorale de 3000 spectateurs, dont certains ont essuyé une larme de bonheur.