Il aura fallu une «aventure» orchestrale pour faire sortir de sa tanière Peter Gabriel. L'album Scratch My Back, sur lequel cet ermite aux allures de vieux sage s'est amusé à réinventer à la manière symphonique des airs pop et rock qu'il aime bien, ne fournissait qu'une partie de l'explication. Hier au Centre Bell, 8000 fans inconditionnels ont compris pourquoi leur idole a décidé de transposer à la scène ce disque atypique. À 60 ans, c'est avec un grand orchestre que Peter Gabriel peut le mieux s'adonner à ce qui a toujours été sa passion: le théâtre musical.

La soirée a commencé en retard sans doute en raison d'un problème technique qui a gardé les hommes en rouge sur la scène jusque vers 20 h 30. Puis, après deux chansons folk de sa choriste norvégienne Ana Brun, Gabriel a enchaîné les 12 chansons de Scratch My Back. C'était comme sur le disque, avec ce supplément d'émotion que procure inévitablement la présence physique d'un grand orchestre et la voix unique de Gabriel, encore et toujours un fabuleux véhicule d'émotion. Les moments forts étaient les mêmes que sur l'album, Mirrorball du groupe Elbow, qui a touché au grandiose avec ses montées orchestrales, Listening Wind de Talking Heads qui, débarrassée de son groove, semblait avoir été écrite par Gabriel, et l'émouvante The Power of the Heart de Lou Reed dans laquelle Gabriel a dit autant qu'il a chanté. Sans oublier My Body Is A Cage des «locaux» Arcade Fire, applaudie d'entrée de jeu et remarquable pour l'intensité de la voix de Gabriel qui tenait presque du cri et ses changements d'ambiance qui ont dérouté plusieurs spectateurs moins familiers avec ces chansons empruntées. Des spectateurs qui applaudissaient à tout moment, croyant sans doute que la toune était terminée.

Mais Gabriel peut se féliciter d'avoir à Montréal un public exemplaire, presque docile, qu'on sentait se retenir en attendant le moindre moment intense pour libérer son trop-plein d'énergie et d'amour pour son idole.

Quitte à manifester son approbation pour les projections ou les dessins animés parfois drôles qui ont ilustré les chansons tout autour des musiciens. Dans les moments d'accalmie, on pouvait entendre les fans du Canadien manifester leur bonheur ou leur déception dans le bar sportif du Centre Bell. Et quand la victoire a été acquise, un spectateur a crié sa joie et d'autres se sont mis à applaudir pendant que Gabriel étirait les mots de Street Spirit de Radiohead. C'était, de toute façon, la pièce la plus faible du concert, jouée tout de suite après une Philadelphia qui n'a jamais atteint la pureté et l'émotion de l'originale de Neil Young.

Après l'entracte, Gabriel a revu et corrigé avec sa cinquantaine de nouveaux amis des morceaux de son répertoire. C'était un peu plus décontracté, beaucoup plus théâtral, notamment à cause des images pixellisées, déformées ou colorées de Gabriel qui renvoyaient au chanteur masqué et maquillé d'antan. Les chansons plus grandes que nature comme San Jacinto, Signal To Noise et The Rhythm of the Heat profitaient pleinement de la richesse de l'orchestre, et le chanteur ne s'est pas gêné pour les «jouer» à la manière d'un acteur. La plus dépouillée Mercy Street, très collée sur l'originale, a été tout aussi convaincante, beaucoup plus en tout cas qu'une Digging in the Dirt gauchement pop.

Juste avant le rappel, Gabriel a sonné le début de la récréation, ce moment bien mérité où ses fans qui avaient réprimé toute forme de ludicité pendant deux heures avaient enfin droit à leur bonbon: Solsbury Hill. Une version entraînante, pendant laquelle Gabriel a sautillé de bord en bord de la scène malgré ses problèmes de micro, et qui s'est fondue dans l'Ode à la joie de Beethoven.

À 23 h pile, Gabriel est revenu pour le rappel: trois chansons prévues, dont la joyeuse In Your Eyes. L'artiste britannique remet ça ce soir au Centre Bell.