Ces dernières années, le prix de plusieurs CD de musique classique a radicalement chuté. Comment se constituer une discographie sans se ruiner? Réjean Tremblay, chroniqueur sportif et mélomane à ses heures, et Claude Gingras, critique aguerri, s'amusent ici à se contredire. Découvrez les choix de deux collègues aux opinions bien tranchées.

Je prendrais 2 kg de Mozart, 1 kg de Bach et 750 grammes de Vivaldi comme dessert.»

François de Tonnancour, l'éminence du rayon de musique classique du magasin Archambault de la rue Sainte-Catherine, illustre ainsi ce que les amateurs de musique classique vivent depuis deux ou trois ans.

Longtemps, il fallait économiser pour s'offrir une bonne version des suites pour violoncelle de Jean-Sébastien Bach. Les deux disques coûtaient plus de 32 $. Et c'était une aubaine.

Aujourd'hui, on peut acheter une intégrale des oeuvres de Bach (soit plus de 160 CD) pour moins de 150 $. Et elle a de quoi satisfaire le mélomane ordinaire.

Le disque classique vit une révolution qui pourrait rendre jaloux l'amateur de rock, de pop ou de jazz. Les grandes compagnies comme Sony, Universal, Warner ou EMI bradent leurs catalogues, offrant les meilleures interprétations de leurs plus grandes vedettes à des prix dérisoires.

Évidemment, un spécialiste qui n'achète que des versions «pointues» de certaines oeuvres pourra trouver à redire. Mais pour les gens ordinaires, c'est une chance fabuleuse de découvrir la musique classique, une chance encore jamais vue dans l'histoire du disque.

On trouve par exemple à moins de 80 $ un coffret de 50 CD chez Decca, Piano Masterworks, qui met en vedette de grands pianistes. Violin Masterworks, toujours chez Decca, offre un banquet de musique de violon pour moins cher qu'un repas pour deux, sans vin, chez St-Hubert.

Les amants de l'opéra pourront acheter l'oeuvre de Wagner, de Puccini ou de Verdi pour moins de 100 $. On parle d'une quinzaine d'opéras par coffret et des plus grands interprètes, dont Pavarotti et Callas, bradés par London, EMI ou Deutsche Grammophon. Trente-huit CD (sur DG) des plus importantes symphonies interprétées par Karajan pour moins de 100 $, c'est aussi la réalité. Des disques qu'on payait 22 $ l'unité il y a deux ou trois ans.

Le secret est dans la pharmacie

C'est l'arrivée du spécialiste des intégrales Brilliant Classics, il y a un peu plus de 10 ans, qui a provoqué cette révolution. Un homme d'affaires et mélomane hollandais a réalisé qu'il y avait un marché inexploité pour la musique classique: les pharmacies et drugstores des Pays-Bas. «Mais il s'est dit qu'il devait être capable de réduire les prix au maximum, rapporte François de Tonnancour. Il a eu l'idée de génie d'aller voir les compagnies de disques et de leur offrir de racheter sous licence les bandes déjà publiées qu'on n'offrait plus chez les disquaires. Leur coût avait déjà été amorti et c'était de l'argent facile pour ces grandes compagnies. Brilliant Classics a donc envahi ce premier marché. Devant un si grand succès, il a décidé d'envahir l'Europe, d'acheter encore plus de bandes des meilleurs artistes et d'enregistrer avec d'autres interprètes pour compléter certaines intégrales», explique M. de Tonnancour.

Le grand coup aura été une intégrale des oeuvres de Mozart de 170 CD vendue partout en Europe pour 90 . Le succès fut colossal. Plus de 200 000 unités ont trouvé preneur. On y trouve des oeuvres rachetées de prestigieuses compagnies comme BIS pour les trios pour piano et les quintettes à cordes.

Une splendide intégrale de Beethoven a suivi. Cent CD en Europe, 85 au Québec. Les symphonies dirigées par Kurt Masur, des concertos pour piano par Friedrich Gulda et le reste à l'avenant. Une intégrale qui venait rejoindre celles de Bach, de Chopin, de Brahms ou de Haydn.

Bousculées, les multinationales comme EMI ont finalement réagi en mettant en vente leur fabuleux fonds de commerce. Les plus grandes interprétations par les plus grands artistes à moins de 3 $ le disque. Du jamais vu, de l'inespéré.

Ceux qui aiment la musique baroque (Bach, Vivaldi, Handel, Purcell et les autres) pourront remercier M. de Tonnancour. Brilliant lui a demandé de préparer une sélection des meilleures oeuvres baroques, cette musique que les profanes trouvent «relaxante». Il s'est échiné à comparer des versions du Messie, des concertos de Vivaldi et des autres compositeurs baroques. Ça a donné un coffret de 50 CD en vente à... 49,95 $.

Mon coffret favori? L'intégrale des symphonies de Haydn par Antal Dorati. J'avais payé plus de 400 $ pour les disques à l'époque. Ils sont en vente à 69 $. Pour les amateurs de musique, c'est un cadeau du ciel.

Dommage que notre cher Claude Gingras possède déjà tous ces disques. Pas moyen de lui faire un cadeau!