«Pour la première fois, j'ai osé le faire.» En novembre dernier, tel un seul homme, Pierre Lapointe s'est installé derrière un piano pour y interpréter, devant public, une nouvelle mouture de certaines pièces qui composent son répertoire. L'opus a été enregistré pour souligner les 10 ans de carrière de l'artiste qui, à l'aube de la trentaine, n'a visiblement pas l'intention de cesser de pousser ses audaces.

Exit, le rythme endiablé de Deux par deux rassemblés, l'inquiétante mesure de contrebasse qui marque le début de De glace et les cuivres exubérants du Bar des suicidés.

Sur Pierre Lapointe seul au piano, le chanteur revisite des morceaux extraits de ses trois albums - Pierre Lapointe, La forêt des mal-aimés et Sentiments humains - et de son mini-album Les vertiges d'en haut.

Y figurent également deux pièces inédites: Moi, Elsie, qu'il a composée pour Elisapie Isaac, et La boutique fantastique, qui lui a permis de rafler le pris d'auteur-compositeur-interprète au Festival international de la chanson de Granby en 2001.

«Ça m'a remis dans l'état où j'étais quand j'ai écrit ces chansons. On finit par les chanter tellement souvent qu'on se détache d'elles et on les chante comme si elles ne nous appartenaient pas. Quand je les ai refaites piano-voix, je me les suis réappropriées. La majorité du temps, c'est ainsi qu'elles naissent, alors elles reviennent à leur source la plus pure», explique-t-il, attablé dans un café de l'avenue Mont-Royal.

«J'ai brisé la glace, j'ai trouvé le courage pour assumer le fait que j'étais pianiste-chanteur et que je n'avais pas tout le temps besoin de plein de musiciens autour de moi», explique Pierre Lapointe.

«Oser le faire»? «Briser la glace»?

Curieux choix de mots venant de l'artiste iconoclaste et frondeur qui est parvenu à s'imposer de façon aussi percutante dans le paysage musical québécois.

«J'ai eu un sens du marketing fort. En jouant un personnage, je voulais que les gens se souviennent de moi. Qu'ils m'haïssent ou qu'ils me trouvent drôle, mais qu'ils se souviennent de moi.»

«Le but de cette recherche d'attention n'a jamais été de me gonfler l'ego, précise-t-il cependant. Je pense que j'avais beaucoup de choses à me prouver. Je me suis épuisé à faire ça, et aujourd'hui, je m'en fous, de cette espèce de reconnaissance à tout prix.»

Au début de sa carrière, le besoin d'attention de Pierre Lapointe était «anormal» et démesuré». Mais ce qui l'a toujours fait vibrer par-dessus tout, c'est la scène. «Quand je ne donne pas de concert pendant longtemps, j'ai besoin de faire des shows, ça me manque. Ça n'a pas d'allure comme ça me manque», soutient-il.

Il ne sera pas en reste au cours des prochains mois. Au moment où La Presse Canadienne l'a rencontré, il s'apprêtait à s'envoler pour la France afin de donner quelques représentations de son spectacle Seul au piano. De retour au pays, en février, il le promènera un peu partout au Québec et en Ontario dans le cadre d'une tournée qui doit prendre fin en juin.

La rentrée montréalaise prévue en mai sera l'occasion, pour Pierre Lapointe, de lever le voile sur un projet artistique éclaté qu'il a élaboré avec l'artiste plasticien David Altmejd, le Conte crépusculaire. Cette performance scénique, «qui ressemble à une crèche vivante, version «trash» de l'espace», est «un pied de nez à ceux qui disent que les gens ne veulent pas trop réfléchir et qu'ils veulent des choses faciles à digérer».

Le contraste entre cette performance, qui aura lieu dans une galerie d'art, «pour éviter que les gens s'attendent à retrouver les codes qu'on trouve sur une scène» et celle qu'il livre sobrement au piano, est l'une des marques de commerce de l'artiste touche-à-tout. Car Pierre Lapointe s'est donné comme mission, en tant que créateur, de mettre à profit l'attention médiatique dont il jouit pour emmener les gens ailleurs.

D'ailleurs, il promet que le prochain disque sur lequel il travaille depuis déjà un an sera complètement différent de celui qu'il lancera le 8 février. Au moment où cet album sortira, le chanteur aura passé le cap de la trentaine. Un seuil qu'il envisage avec enthousiasme.

«On est tellement moins niaiseux à 30 ans qu'à 20 ans, lance-t-il en riant. Ce que j'ai là, c'est ce que j'espérais avoir il y a 10 ans. Et dans 10 ans, je voudrais chanter en français un peu partout, ailleurs que dans la francophonie. J'aimerais aussi produire un «show télé', avoir fait un film et toucher au théâtre.»

Pierre Lapointe admet d'ailleurs qu'il a reçu des offres «extrêmement intéressantes pour le théâtre». Il a toutefois dû les mettre de côté étant donné son horaire chargé. Il y a fort à parier que le temps venu, il osera.