Il y a une décennie, l'album Car Wheels On A Gravel Road révélait Lucinda Williams à un vaste public, bien au-delà du circuit auquel elle était confinée depuis le début de sa carrière. Les médias spécialisés l'avaient alors consacrée papesse de l'alternative country, une étiquette dont elle se méfie. Chose certaine, la quinquagénaire doit être considérée parmi les plus accomplies du songwriting américain, au même titre qu'Emmylou Harris ou Sam Philips.

Cette voix en a vu d'autres, pour employer un «perronisme»... qui n'est pas de Jean Perron - on peut en suggérer aussi! D'entrée de jeu, cette voix semble fatiguée, bien au-delà d'une longue, difficile et valeureuse trajectoire d'artiste. C'est la fin de l'après-midi, le bus de tournée se dirige vers Raleigh, en Caroline-du-Nord. Tom Overby, son agent et compagnon de vie, compose le 514, passe le combiné à sa douce...

 

Hello?

On commence par la complimenter pour son album précédent, West, une grande réalisation de Hal Willner, à qui l'on doit de superbes albums thématiques, notamment consacrés à Thelonious Monk et Kurt Weill. Lucinda remercie son interlocuteur. Silence... Elle attend la prochaine question. Entregent, quand tu nous tiens!

Le tout nouveau Little Honey (lancé le 14 octobre au nord de la frontière), doit-on enchaîner afin de la relancer, est différent. Beaucoup plus live que West. Mme Williams finit par embrayer en corroborant. Fiou.

«La majorité des chansons de ce nouvel album étaient prêtes à être enregistrées il y a deux ans. Or, nous avions trop de matériel pour West, environ 25 titres. Nous avons dû choisir. Ainsi, il restait un beau choix de chansons prêtes à être enregistrées pour Little Honey, et j'en ai composé des nouvelles. Ce fut une transition naturelle.»

Lorsque Lucinda Williams a entrepris la création de West, elle émergeait d'une période très difficile. «J'avais pris une pause après World Without Tears. Puis ma mère est morte, cette grande perte survenait au terme d'une relation injurieuse et violente. Mon ex avait des problèmes de drogue et d'alcool, notre relation s'était effondrée, il avait dû aller en désintoxication, j'en passe...»

Elle vous raconte ça comme si de rien n'était! On aura saisi qu'une ligne très fine sépare la vie privée et la vie publique de Lucinda Williams, un livre beaucoup plus ouvert que ne l'annonçait le début de cette conversation. «Je crois que mes fans aiment visualiser ma vraie vie à travers mon art. Ils apprécient cette connexion et portent un regard sur eux-mêmes par la même occasion.»

Et elle reprend le récit de ses deux derniers albums: «Malgré tout, j'avais commencé à écrire de nouvelles chansons, entre autres inspirées de ce tumulte personnel - j'ai d'autres sujets, vous savez! J'avais fait des maquettes de ces chansons, au point de liquider le budget de production! Puis j'ai fait la rencontre de Tom, nous avons complété les maquettes de 25 chansons, dont j'ai pu reprendre plusieurs pistes de voix pour West. Entre-temps, j'ai amorcé un changement dans mon entourage. J'étais entre deux groupes d'accompagnement, on m'a alors suggéré le réalisateur Hal Willner. Great stuff.»

Des larmes de joie

Deux ans plus tard, elle reprend donc du service avec un disque plus brut, plus festif, plus lumineux également. Exemple? Tears of Joy, une chanson de Little Honey, annonce une période clémente de sa vie. «Pour une fois, j'ai écrit une chanson où les larmes sont des larmes de joie», observe-t-elle en riant.

Autre différence marquée entre Little Honey et West, selon la principale intéressée: «Pour West, je n'avais pas de groupe régulier, ce qui m'a conduite à embaucher des noms très connus, issus d'horizons différents - le batteur Jim Keltner, le bassiste Tony Garnier, le guitariste Bill Frisell.

«Pour Little Honey, un disque plus expansif et moins introspectif, j'étais accompagnée par mon groupe régulier avec lequel je tourne depuis un moment. Nous n'avons pas senti le besoin de faire appel à d'autres producteurs. Nous voulions aussi que ça rocke davantage avec Little Honey, d'où cette reprise d'AC/DC, Long Way To The Top. Nous l'avons essayée et ça a marché. Nous terminons nos concerts avec cette chanson, les gens ont l'air d'adorer; ils sont toujours debout à la fin!»

Ainsi triomphera la papesse de l'alt (ernative) country à Montréal, jeudi prochain. Alt country? On imagine l'interviewée froncer les sourcils dans son autobus de tournée. «Cette étiquette est restrictive, je préfère ne pas y être associée. Il faut se méfier des stéréotypes! Vous savez, je me sens plus proche musicalement de Bob Dylan, de Tom Petty ou de Neil Young que d'Emmylou Harris ou de Sam Philips.»

La conversation se termine sur l'itinéraire de cette grande auteure, compositrice et interprète. Après la Caroline du Nord? New York, au lendemain du débat entre Sarah Palin et Joe Biden. L'observation est venue de l'artiste elle-même, sans qu'on ne lui ait suggéré d'emprunter la piste politique. «Je ne peux imaginer John McCain et Sarah Palin à la tête du pays», lance Mme Williams avant de raccrocher.

___________________________________________________________________________________

Lucinda Williams sera en spectacle le 9 octobre au Métropolis.