Thomas Hellman ne vit plus dans cet appartement du Mile-End, devenu relativement célèbre dans ce quartier puisqu'il inspira le titre de son album précédent. Installé maintenant dans le loft d'un secteur industriel situé un peu à l'ouest de la Petite Italie, Hellman a marché jusqu'au Café Italia pour cette interview où il parlera d'abondance de Prêts, partez.

Et voilà, il est parti !

Premier constat du chanteur, auteur, compositeur et arrangeur: ce Prêts, partez est mieux composé, mieux arrangé et mieux joué que ses disques précédents. Réalisé par son vieux pote Olaf Gundel, arrangé par Thomas de concert avec Olaf, mixé par le respecté Jean Massicotte - qui avait réalisé l'excellent Appartement. « Une histoire d'amitié» résume le principal intéressé.

De facture plus pop (au sens indie de l'expression), Prêts, partez pourrait propulser Hellman au-delà du buzz dont il fut l'objet il y a trois ans. La crise du disque déjà imminente avec les conséquences que l'on sait pour les artistes émergents, même les chouchous de la critique. Résultat : avec L'Appartement, le Montréalais n'avait pas franchi la barre des 10 000 exemplaires avec un soutien médiatique plus que positif. Hellman espère évidemment faire mieux avec Prêts, partez. Nous verrons bien...

Chose certaine, les conditions de création ont été clémentes, dit Hellman.

« C'est le disque sur lequel j'ai travaillé le plus fort. Je n'avais pas plus d'argent que pour le précédent, j'avais surtout plus de temps. Il s'est écoulé une année complète entre le moment où j'ai commencé à écrire des chansons et celui où le disque est sorti.»

À maints endroits, l'auteur-compositeur a imaginé les chansons de Prêts, partez : à Montréal, dans les Laurentides, en partie à Paris, aussi aux États-Unis. Des amis et la famille, lui ont prêté maisons de campagne et appartements. « Le voyage est extrêmement propice à l'écriture; on y sort un peu de soi, on y a parfois l'impression de devenir un personnage de roman », estime l'artiste de 33 ans.

Alors qu'il était à Paris, Thomas Hellman s'est sensibilisé au slam et à la poésie rythmique de l'Hexagone; Grand Corps Malade, Abd Al Malik, etc. Cette vague semble l'avoir frappé de plein fouet.

« Pour moi, en ce moment, le slam pousse plus loin le français, surtout dans la rythmique de la langue. Le slam amène la langue française dans un univers particulier. Cela m'a incité à retourner au beat poetry, à Ginsberg, Kerouak et ces autres écrivains qui déclamaient leurs textes avec des orchestres de jazz. Le slam m'a aussi ramené au vieux folk des années 30 et 40, à l'époque où Woodie Guthrie faisait du spoken word et du talking blues. À travers ces formes, le sens du texte ne passe pas seulement par les métaphores mais aussi par la rythmique de la déclamation.

« Les caractéristiques du slam, en fait, se trouvent dans les chansons Prêts partez, Chats de gouttière, 20 mai, La ruelle, Il attend. Cette dernière comporte une partie de slam en anglais, qui s'interpose au narrateur français, la langue anglaise perce le texte français pour lui donner une perspective différente. Ainsi, le sens de la chanson passe dans l'espèce de complémentarité des langues. Dans Chat de gouttière, il y a aussi la rythmique de la marche, pendant que le texte développe cette idée du rêve d'un ailleurs qui ne vient jamais. »

Le seul texte entièrement écrit en anglais, Everyone Gets Lighter, est signé John Giorno, célèbre poète américain que Thomas Hellman a mis en musique avec la bénédiction de son aîné. « Au Festival Voix d'Amérique, l'hiver dernier, on m'a présenté John Giorno, ça a été vraiment une belle rencontre. En discutant avec Giorno et en relisant ses textes, ça m'a permis de revoir la poésie beat. Ainsi, j'ai mis trois de ses textes en musique, un s'est retrouvé sur l'album. Il était très content. »

L'écoute de Charles et Léo, un disque où Jean-Louis Murat met en musique ce que Léo Ferré avait composé pour des textes de Charles Baudelaire, a été aussi inspirante.

« Ça m'a donné envie de relire les poètes romantiques du 19e siècle. Du coup je me suis rendu compte que je me débarrassais de mes influences lorsque j'écrivais en français, alors qu'en anglais j'ai l'impression que Tom Waits, Woody Guthrie, Leonard Cohen et Bob Dylan observent mon travail au-dessus de mon épaule ! Mes influences françaises sont beaucoup plus floues. En écrivant en français, je me libère... J'ai l'impression d'avoir trouvé ma voie. »

Une fois l'écriture des chansons complétée, la production s'est mise en marche... dans les appartements de Thomas et Olaf.

« On a invité plusieurs musiciens, mais le côté musical, c'est vraiment Olaf et moi qui l'avons imaginé. Je connais Olaf connais depuis la maternelle, nous avons grandi ensemble à NdG. Olaf m'accompagne depuis mes débuts. Moitié Danois et moitié Uruguayen, Olaf est mélangé comme moi, Français et Américain élevé au Canada. À l'école secondaire, nous étions trois chums qui faisions de la musique. Olaf, moi et Jordan Officer, qui est devenu le complice musical de Susie Arioli - et qui joue dans La Jeunesse, une de mes nouvelles chansons. Ensemble, nous avons découvert le folk et la chanson. Pour ce disque, Olaf et moi avons convenu être capables de réaliser et l'arranger seuls », raconte Hellman.

Voilà qui explique le rôle plus restreint de Jean Massicotte cette fois, c'est-à-dire le mixage. « La plupart des instruments. Olaf et moi les avons joués dans son salon et dans mon salon, après quoi nous avons invité des musiciens à compléter le travail en studio. On a fait une grande partie du travail avec des équipements assez lo-fi. On avait plusieurs instruments : les guitares, le banjo et, pour la première, fois l'électronique. On voulait un album avec des couches, un album dans lequel tu peux plonger davantage à chaque nouvelle écoute. »

Cette idée de couches multiples dont fait état Thomas Hellman vaut autant pour les textes que pour les musiques, selon le principal intéressé.

« Ce que je voulais faire c'est un album qui s'inscrivait davantage dans la modernité que les précédents, un album à caractère universel, qui puisse exprimer quelque chose au-delà de mon expérience personnelle. Cette fois, je m'efforce d'être un radar de notre époque, un zeitgeist.

« La chanson Prêts partez, par exemple, traduit bien le sentiment de peur et d'angoisse autour de nous. D'une manière inconsciente, cette peur, cette angoisse s'est retrouvée dans le texte. On peut voyager partout, le monde est plus petit que jamais, mais... on n'a plus d'idéal, on n'a plus de valeurs pour nous guider. Ça crée une situation de vide, d'angoisse, de révolte et d'espoir, d'où le rythme dans le texte. J'insiste, d'ailleurs, sur le fait qu'il y a plus d'espoir dans Prêts, partez que dans les précédents. La Chambre de Marina ou Pas à pas s'ouvrent sur le privé, l'espoir et le bonheur. Ce bonheur qui se cache dans les petites choses... Et, dans les petites choses, l'art peut avoir un rôle à jouer... »

Thomas Hellman avale une dernière gorgée de latte, conclut en se remémorant ses écoutes de musique en cours de création - Mississipi John Hurt, Bonnie Prince Billy, Arvo Pärt, Neil Young, Nina Simone, Woody Guthrie, beaucoup de gospel, pas mal de jazz. Force est de conclure à notre tour que conditions ont été généralement favorables.

« Je suis fier de ce disque. J'ai vraiment poussé, je n'ai pas fait de concessions. »

Qu'ajouter à cela ?