Deux ans après leur première rencontre orchestrée par la CBC, Les Charbonniers de l'enfer et l'ensemble La Nef présentent un magnifique disque conjoint, La traverse miraculeuse. Une alliance naturelle, mais pas si habituelle, entre grands explorateurs du passé.

Chacun à sa manière, le choeur a cappella Les Charbonniers de l'enfer et l'ensemble de musique ancienne La Nef cherchent à faire chanter le passé. L'un se concentre naturellement sur le répertoire chansonnier d'ici, l'autre a fait le tour du monde, s'attardant autant à la musique espagnole du XVe siècle qu'aux chansons et danses populaires du Cap-Breton. Ce n'était qu'une question de temps avant que les deux se croisent et unissent leurs forces.

 

L'entremetteur de cette grande rencontre a été Kelly Rice de la CBC qui, il y a deux ans, a invité les deux ensembles - et aussi Les Voix humaines - à participer à un programme articulé autour des chansons maritimes. Visiblement enchantés par cette collaboration, Les Charbonniers et La Nef ont creusé le concept et resserré le programme pour en arriver à La traverse miraculeuse, concert présenté en ouverture du Festival Montréal baroque en juin dernier et enregistré la semaine suivante dans une église des environs de Mirabel.

La traversée à laquelle le titre de l'album fait référence, c'est bien sûr celle de l'Atlantique. Le passage de l'ancien au Nouveau Monde. C'est le point d'ancrage d'un répertoire qui, partant de l'idée de la mer, parle «guerres, séparations de couple, départs, traversées maritimes, détaille Michel Bordeleau, l'un des cinq Charbonniers. On est allés vers ces thèmes-là, mais sans se cantonner dans une époque.»

Un seul morceau, qui est d'ailleurs issu de la juxtaposition de deux pièces du XVIIIe siècle, fait référence à un moment capital de notre histoire, la Conquête. Le combat de la Danaé, histoire tragique d'un navire parti ravitailler les troupes de la Nouvelle-France, a été couplé à The Battle Of Quebec, une chanson anglaise qui relate bien sûr la bataille des plaines d'Abraham. La soprano Meredith Hall chante le point de vue des Anglais, Les Charbonniers, celui des marins français.

«Ce qui a été le plus intéressant à trouver dans ce cas-là, c'est que la mélodie de The Battle Of Quebec était très apparentée au niveau du mode, de la couleur et du tempo au Combat de la Danaé, fait remarquer Sylvain Bergeron, directeur artistique de La Nef. C'est là que j'ai eu l'idée de superposer les deux histoires qui se complètent tout en étant tout à fait opposées.»

Conjuguer les approches

La couleur instrumentale de La Nef a exercé une influence importante sur l'établissement du répertoire et la manière de l'aborder, selon Michel Bordeleau. «On a choisi plus de complaintes, des chansons qui racontent des histoires, avec des ambiances, et on a mis de côté, bien sûr, tout ce qui était chansons à répondre, expose-t-il. On est allés plus dans la théâtralité, aussi. Les chansons suggéraient tellement d'images, d'émotions et de façons de travailler qu'on a ouvert une porte à ça. On ne les aurait peut-être pas chantées comme ça si on les avait faites entre Charbonniers.»

Les deux entités ont bien sûr dû s'apprivoiser. Sylvain Bergeron admet que, dans l'absolu, on peut dire qu'il n'y a pas de différence entre ce qu'on appelle le répertoire ancien et le folklore. «La différence, elle se trouve au niveau de l'approche», dit-il. D'un côté, les musiciens formés à l'école classique, de l'autre, ceux issus de la tradition orale. L'approche sérieuse et l'approche conviviale, dirons-nous.

«Il y a évidemment une part d'improvisation à partir des structures qu'on écrit, mais notre travail reste le même qu'en musique classique», explique Sylvain Bergeron. Il précise par ailleurs que La Nef a toujours eu l'envie de découvrir des répertoires qui ne portent pas le sceau officiel de la musique baroque ou de la renaissance. «On aime mélanger les influences», dit-il.

L'expérience semble avoir été plus bouleversante pour Les Charbonniers. «Ce qui est très différent, c'est qu'on s'est permis de prendre du répertoire individuel, dit avec justesse Michel Bordeleau, de profiter du plaisir de chanter individuellement avec un ensemble.» Chaque Charbonniers a «sa» chanson, où son timbre, son accent et sa manière de chanter sont mis en lumière. Ceci, conjugué au plaisir de chanter avec un accompagnement musical, suscitera des réflexions au sein du choeur, estime Michel Bordeleau. Mais pour l'instant, il aimerait simplement que La Nef et les Charbonniers trouvent le moyen de ramener ce répertoire sur scène.