René Angélil n'allait même pas à l'école qu'il jouait aux cartes en famille. «J'ai été élevé comme ça», me dit-il à son bureau de Laval avant de s'envoler pour Las Vegas d'où sa femme Céline Dion voyagera pour donner les derniers spectacles de sa tournée mondiale.

Contrairement à leur célèbre fils, les parents Angélil ne jouaient pas à l'argent, mais ils s'obstinaient. «Ma grand-mère de 82 ans pensait qu'elle jouait mieux que tout le monde; selon moi elle avait raison, et elle chicanait elle aussi», raconte René Angélil. Georges-Hébert Germain tenait là le fil conducteur de son nouveau livre, Le maître du jeu. Sur plus de 500 pages, il illustre comment, de tout temps, le jeu a été au coeur des succès et des échecs d'Angélil, plus encore que ne le croient ceux qui prétendent tout connaître de lui.

René Angélil est un être particulier. Élevé dans Villeray, dans une famille d'origine syrienne, il impose son autorité naturelle à l'école du quartier, puis dans le show-business où il connaît le succès en chantant des versions françaises des chansons des Beatles avec les Baronets. Puis il s'associe à son ami Guy Cloutier, avec qui il apprend une dure leçon qui lui servira toute la vie. En 1974, Cloutier et Angélil exigent un million de CBS pour leur protégé René Simard. C'est non. «On a eu une chance inouïe avec une grosse compagnie de disques qui croyait en notre artiste et qui était prête à investir, mais on a voulu faire nos smattes...» constate aujourd'hui Angélil.

Quand, une douzaine d'années plus tard, il signera un contrat d'enregistrement avec CBS pour Céline Dion, Angélil ne demandera pas la lune. Mais il mettra le pied dans la porte d'une carrière internationale sans précédent, puis s'emploiera à provoquer les occasions pour permettre à Céline d'accéder au sommet. Une fois sa chanteuse bien établie, l'imprésario mettra toujours la barre un peu plus haut et fera pour elle des deals faramineux en sachant qu'il a en main les cartes gagnantes. «Il faut juste jouer ses cartes comme il faut», nuance-t-il.

Très superstitieux, Angélil croit dur comme fer que la vie, comme le black-jack, est affaire de séquence: quand ça va mal, il ne faut pas s'énerver et attendre l'occasion qui va sûrement se présenter, la reconnaître et la saisir. «Après, tout va être correct», répète-t-il constamment à son entourage.

Quand, en 1979, la chanteuse Ginette Reno, dans laquelle il avait tout investi, l'a viré pour confier sa carrière à son amant du moment, quand il a fait une crise cardiaque à 50 ans, quand sept ans plus tard, il a appris qu'il avait un cancer de la gorge, Angélil affirme qu'il ne s'est pas laissé abattre. «C'est le monde autour de moi qui était découragé, pas moi», dit-il le plus sérieusement du monde. Il n'en a jamais voulu à Ginette Reno, qui avait agi «par amour». Au contraire, il a toujours considéré que Céline et lui avaient une dette envers Ginette: si la famille Dion lui a confié la carrière de Céline, dit-il, c'est parce qu'ils avaient lu son nom sur la pochette du dernier album de leur chanteuse préférée, Ginette Reno.

Rien n'arrête René Angélil. Il peut tout aussi bien prendre le téléphone pour dire au président des Nordiques de Québec, Marcel Aubut, d'engager son ami Pierre Lacroix comme directeur général en 1993. Puis le rappeler un an plus tard en lui disant qu'il aurait dû l'écouter! Ce qu'a finalement fait Aubut et depuis, Lacroix a gagné deux fois la Coupe Stanley avec l'Avalanche du Colorado.

L'été dernier, quand le président des Fêtes du 400e de Québec, Daniel Gélinas, lui a dit qu'il n'avait plus de budget pour déménager la scène où Céline Dion allait chanter sur les plaines d'Abraham, Angélil a aussitôt appelé le premier ministre Jean Charest. Le lendemain, Gélinas avait trouvé les centaines de milliers de dollars manquants.

Le livre traite aussi des rapports particuliers d'Angélil avec les médias. Avec la presse people, qu'il trouve «plus facile à contrôler», aussi bien qu'avec les quotidiens et la télé. Au début des années 90, Angélil appelle le Journal de Montréal pour lui donner un scoop: Céline va enregistrer une chanson pour un film produit par Steven Spielberg. Quand c'est finalement Linda Ronstadt qui enregistre ladite chanson, Angélil invente une excuse pour ne pas perdre la face et raconte à La Presse que c'est Sony, la compagnie de Céline, qui a refusé que sa chanteuse travaille pour le label concurrent MCA. Angélil me regarde tout sourire: «Écoute bien, je suis un imprésario. Tu ne me feras pas croire que le colonel Parker et Brian Epstein ne contaient pas une petite menterie de temps en temps...»

Dans le dernier chapitre de ses rapports tumultueux avec Radio-Canada, Angélil en veut à la télé d'État et son président Sylvain Lafrance pour deux raisons: une émission d'Enjeux, en 2007 que, dit-il, Lafrance lui avait présentée comme un hommage à Céline pour ses 25 ans de carrière, mais où ses détracteurs prenaient le plancher ; puis le dernier Bye bye qu'il n'a pas encore digéré. Il reconnaît que c'est d'abord la caricature de son fils René-Charles qui l'a ulcéré - il y voit une revanche du couple Cloutier-Morissette pour avoir empêché sa nouvelle protégée Véronic DiCaire d'aller imiter Céline au Bye bye - mais répète que sa sortie virulente était dirigée contre l'émission en général qu'il a trouvée tout aussi revancharde envers Nathalie Simard, Denis Lévesque et TVA, et les Anglais.

J'en profite pour lui demander pourquoi il refuse toujours de participer à Tout le monde en parle, même s'il dit qu'il aime bien Guy A. Lepage, qui a gagné un tournoi de poker organisé par lui l'été dernier. Est-ce, comme le suggère le livre de Germain, parce qu'il est loyal à Julie Snyder, son Banquier et sa Star Académie, concurrents de TLMEP? «Ça et, au début, la question du montage, mais ça s'est réglé», dit-il.

- Mais vous n'avez pas changé d'idée?

- Non, ça c'est sûr!»

Angélil dit qu'il a eu d'autres propositions avant d'accepter celle de Germain, qui a signé deux livres sur Céline Dion et un autre sur sa mère Thérèse. «Je ne voulais pas partir sans avoir un livre pour mes enfants et mes petits-enfants», dit-il.

Dans ce livre, ajoute-t-il, il n'y a pas de bullshit: «Oui, je suis un gambler, oui, c'est une maladie, oui, j'ai été chanceux et oui, il faut que je fasse attention aujourd'hui. À Las Vegas, 95% des gamblers ne sont pas chanceux...»

Germain, qui s'est procuré deux livres sur le poker pour mieux cerner son sujet, ne voulait surtout pas «faire l'apologie de ce qui pour bien des gens est un désastre». Il aime bien la formule de Patrick Angélil, fils aîné de René: «Mon père a une maladie dont il ne souffre pas.»

L'auteur, dont le dernier ouvrage du genre était consacré à Marc Favreau, parle d'un portrait plutôt que d'une biographie. Il connaît René Angélil depuis longtemps et sa conjointe est Francine Chaloult, l'attachée de presse de Céline Dion.

«J'ai réfléchi avant de faire ce livre, explique Germain. Je me suis dit que je ferais ce que Velazquez faisait avec le roi Philippe IV. J'ai assez fréquenté Angélil, je l'ai assez vu depuis 20 ans pour pouvoir faire un portrait assez juste de ce qu'il est, et en même temps j'ai assez de sympathie, d'amitié ou de respect pour lui pour le laisser poser comme il veut poser. C'est René comme il se voit, il me montre son meilleur profil.»