Maria Schneider se dit au service de la beauté, on n'a pas de peine à la croire. De son grand orchestre de jazz fondé au début des années 90, elle a fait un véhicule contemporain de facture, inextricablement lié à l'émotion, l'élégance, la grâce.

Le big band a trouvé fraîcheur, innovation et splendeur auprès de Maria Schneider. Il est aisé d'affirmer que sa contribution à cet art orchestral est l'une des plus considérables, à tout le moins pour les 16 années d'existence de ce splendide ensemble new-yorkais.

 

Maria Schneider a fait du chemin depuis l'époque où, fraîchement débarquée à New York, elle assistait Gil Evans dans son travail d'arrangement. Inutile d'ajouter que la jeune étudiante du Minnesota était à la meilleure école, son mentor étant l'un des plus éminents compositeurs et arrangeurs dans la Grosse Pomme.

À Gil Evans, on doit des sessions mémorables pour Miles Davis et grand orchestre - Sketches of Spain, par exemple. De ce grand maître, l'apprentie a tiré les leçons cruciales, notamment en ce qui a trait à la modernité des harmonies, à l'usage d'instrumentations singulières (son big band peut admettre le cor, la clarinette ou l'accordéon) ou à la direction d'orchestre.

Après la mort prématurée de Gil Evans (en 1988), Maria Schneider a cultivé ce raffinement du big band. En 1993, elle faisait du club Visiones (fermé depuis) son quartier général dans Greenwich Village. Tous les lundis, son grand orchestre attirait un nombre croissant de mélomanes, rue McDougal, à un jet de pierre du Blue Note. De jeunes musiciens de la génération montante se sont joints à cet orchestre naissant, ils en ont forgé le son.

Depuis lors, Maria Schneider n'a cessé d'étoffer son édifice musical.

«Je vois l'orchestre comme un instrument de beauté. Je ne visualise plus le big band comme on le fait normalement, avec des sections spécifiques - cuivres, anches, rythme, etc. J'y vois plutôt des contributions individuelles accrues dans le son collectif. Je crois en ce sens que le son d'ensemble est considérablement enrichi lorsque chacun y apporte vraiment sa couleur.»

Ce parti pris pour «l'instrument de beauté» remonte à la fin des années 90. Un voyage de Maria Schneider au Brésil aurait été marquant: «Le Brésil a ses peines, mais c'est d'abord un pays de joie et de splendeur. Pour moi, il fut tellement évident d'en apprécier la culture, les gens, la nature. Je me suis dit alors que je ne m'appliquerais désormais à ne produire que de la beauté. Au début de ma carrière, ma musique était très intense, complexe, dense. Je m'applique maintenant à créer avec plus d'espace et plus de simplicité.»

Musique en ligne

Visionnaire dans l'âme, Maria Schneider a cessé de miser sur une compagnie de disques pour mener ses enregistrements à bon port. En 2004, elle a été l'une des premières à créer un album chez ArtistShare, dont l'objet est de vendre essentiellement la musique en ligne, et aussi de produire des albums en comptant sur le financement des fans, donc sans l'apport monétaire d'une maison de disques (à ce titre, lisez mon blogue sur ArtistShare).

En 2004, Concert In The Garden a été le premier album exclusivement vendu en ligne (ou presque) qui a obtenu un prestigieux trophée Grammy. Ce même enregistrement a été également consacré album de l'année par la Jazz Journalists Association. Lancé trois ans plus tard, l'album Sky Blue a aussi fait ses frais, pendant que la pièce Cerulean Skies (tirée de cet album) était choisie meilleure composition instrumentale aux Grammys de 2008.

Cela étant, Maria Schneider ne prévoit pas enregistrer un nouvel album pour son big band dans un avenir proche. Et pour cause: «J'écris actuellement pour la soprano Dawn Upshaw et le Saint Paul Chamber Orchestra. On associe de plus en plus mon écriture à la musique de chambre. C'est d'ailleurs ce qu'a fait Dawn Upshaw, après être venue assister à un concert du big band. J'étais terrifiée lorsqu'elle m'a demandé d'écrire une oeuvre, mais j'ai fini par le faire.»

On comprendra que Maria Schneider ne chôme pas. Le Kronos Quartet l'a aussi pressentie, elle réfléchit actuellement à ce qu'elle pourrait bien mijoter pour un quatuor à cordes. Hormis la direction de son big band et ces projets de composition, elle est chef invitée pour plusieurs orchestres du monde. Elle l'a d'ailleurs déjà été à Montréal, à la fin des années 90 - pour l'orchestre de la saxophoniste Jennifer Bell et le trompettiste Bill Mahar.

Sur scène, à Montréal

Au FIJM, Maria Schneider ne compte pas s'en tenir au strict répertoire de son plus récent album: «Nous ferons probablement Cerulean Skies, mais aussi des pièces puisées dans mon répertoire entier. Je dois m'assurer que les solistes puissent être mis en valeur, que le programme puisse comporter des contrastes intéressants.»

Parmi les grosses pointures au service de la musicienne seront présents la trompettiste canadienne Ingrid Jensen, les saxophonistes Steve Wilson, Scott Robinson, Rich Perry et Donny McCaslin, les trombonistes Marshall Gilkes et Ryan Keberle, le batteur Clarence Penn, et on en passe.

Au bout du fil, la musicienne n'exprimera aucune frustration de n'avoir jamais été invitée avant au Festival de jazz de Montréal. Bien au contraire, elle se montre très enthousiaste à l'idée d'y venir pour la première fois. Une artiste comblée, force est de déduire.

«Je suis si chanceuse de gagner ma vie en créant de la musique. Il y a une seule chose que j'aimerais encore changer: faire faux bond à ma propre complexité intérieure lorsque je compose. Je mène de tels combats contre moi-même! Je voudrais franchement dépasser cela. Si le processus de l'écriture était plus facile, mon existence serait un véritable paradis.»

Maria Schneider Orchestra, le mardi 30 juin au Théâtre Maisonneuve, 20h.

 

Qui est-elle?

L'esthétique musicale que propose son big band a marqué le jazz de son époque.

Un CD essentiel

Concert in the Garden, ArtistShare, 2004