Enrico Macias n'est pas un chanteur comme les autres. Né à l'aube de la Deuxième Guerre mondiale, exilé en France après la guerre d'Algérie, il est aujourd'hui ambassadeur des Nations unies pour la paix et porte-parole du secrétaire général. Sa carrière de vedette internationale a été un tremplin pour promouvoir le dialogue entre les peuples. Entrevue avec un témoin privilégié de notre époque.

Q Chanter, pour vous, est un besoin profond?

R Oui, pour plusieurs raisons d'ailleurs. Quand j'étais en Algérie, je jouais dans l'orchestre de musique classique arabo-andalouse de mon beau-père (Raymond Leyris). Après son assassinat, j'ai été obligé de rentrer en France. C'était aussi la fin de la guerre d'Algérie. J'avais besoin de m'exprimer, mais j'étais complètement orphelin de cette musique. Je ne savais plus comment faire. Alors, j¹ai créé un répertoire de façon à ce qu'on me comprenne, qu'on comprenne ma douleur. Ça a été comme une thérapie pour moi.

Q C'était donc plus fort que vous. Et c'était la seule issue?

R C'était la seule issue. J'avais quand même un métier, j'étais enseignant, mais je préférais m¹adonner totalement à la musique, à la création et à une forme de chanson qui n'avait rien à voir avec la musique arabo- andalouse,

mais dans laquelle on sent quand même son influence.

Q Vous pratiquez toujours la musique classique arabo-andalouse?

R Oui. Il y a quatre ans, j'ai donné uniquement des spectacles de musique arabo-andalouse. Je l'ai fait pendant trois ans pour rendre hommage à mon beau-père et, pour vous dire toute la vérité, pour me faire plaisir. Je ne

pensais pas que ça allait marcher aussi bien. Le public, qui ne connaissait pas du tout cette musique, y a tout de suite adhéré. Mais j'avais commencé à interpréter cette musique dans mes spectacles il y a des années et des

années.

Q Vous avez un peu ouvert la voie aux musiques du monde...

R Je suis l'ancêtre des musiques du monde. Quand j'en ai refait, j'avais la légitimité pour le faire.

Q Votre engagement politique est très important. Vous sentez-vous davantage chanteur ou militant?

R Tout dépend comment vous interprétez le mot politique. Pour moi, un politique, c'est celui qui veut se faire élire, occuper un poste. Moi, je suis engagé, je donne mes idées, je ne les impose pas. Je suis un témoin de mon temps. Ma politique, c'est de témoigner.

Q Et vous ne vous gênez pas pour le faire...

R Non, parce que je pense que ma notoriété doit servir à quelque chose. Pas seulement à entasser les médailles et les prix.

Q Peut-on dire de vos prises de position qu'elles sont un refus de céder à la peur?

R Je dirais qu'il ne s¹agit pas de peur. Dire qu'on n'a pas peur, c'est très prétentieux, parce que la peur, ça ne se commande pas. Ce qui m'intéresse, c'est de combattre la lâcheté. Je ne veux pas être un lâche. Je veux être un

courageux, reconnaître certaines peurs, mais ne pas refuser le combat.

Q Craignez-vous parfois pour votre propre sécurité?

R Vous savez, on a assassiné mon beau-père. C'était mon professeur, mon maître. Alors, je n'ai pas le droit d¹avoir peur pour moi. Le mal est déjà fait.

Q Où trouvez-vous l'espoir, la joie, l'envie de chanter?

R J'estime que le sentiment de l'espoir doit être partagé par tout le monde. La vie n'est pas rose, il y a beaucoup de difficultés et d'épreuves. Le jour où l'espoir disparaît, il ne reste plus rien. Devant les problèmes, chercher une solution redonne l'espoir. Pour moi, l'espoir est comme une religion. C'est un sentiment essentiel pour surmonter les problèmes de la vie. Je n'ai pas eu une enfance très heureuse, ni une adolescence très heureuse. J'ai grandi dans la violence et dans la guerre. Heureusement qu'on avait l'espérance de s'en sortir. Je crois en l'espérance d'une façon religieuse. C'est sacré pour moi.

Q Au fond, vos chansons sont des prières...

R C'est juste ce que vous dites. Je n'osais pas vous le dire, mais c'est vrai.

Q Vous avez écrit Noël à Jérusalem. Or, vous n'êtes pas chrétien, mais juif. Il y a là le signe d'une grande ouverture...

R J'ai une grande tolérance pour toutes les idées, toutes les religions. Je ne suis pas sectaire, je suis contre les ghettos. J'ai rêvé d'un Noël à Jérusalem que toutes les religions pourraient fêter ensemble.

Q Il y a quelque chose qui, aujourd'hui, vous permet de continuer à espérer?

R L'amour du public et mon amour de la musique. D'autant plus que je viens de perdre mon épouse et que j'ai failli arrêter. Ce sont mes proches, et aussi le public, qui m'ont demandé de continuer parce qu'ils avaient besoin de moi et que je n'avais pas le droit d'arrêter.

Q Comment vivez-vous cela?

R C'est très, très dur. Le seul moment où je le vis bien, c'est lorsque je suis sur scène. La communion avec le public apaise ma douleur.

Enrico Macias, à l'Olympia ce soir et demain, 20h, dans le cadre du Festival Séfarad de Montréal.