Comment la chanteuse africaine a collaboré avec le gars de U2 sans même le rencontrer.

Pas facile de jaser avec Angélique Kidjo. Jointe dans un train entre New York et Washington, la chanteuse béninoise parle à voix basse pour ne pas déranger les autres passagers. Entre les bips insistants des appels en attente et la ligne qui coupe à tout bout de champ, notre conversation peine à trouver son rythme.

Mme Kidjo est actuellement en tournée sur la côte est américaine pour promouvoir la sortie d'Oyo, son 10e album, auquel participe un certain Bono. Un disque extrêmement varié, où se télescopent ses multiples influences musicales, du soul américain aux diverses musiques populaires africaines, en passant par les trames sonores bollywoodiennes qui ont hanté sa jeunesse.

 

«Je voulais rendre hommage à mon père, qui nous a toujours encouragés à nous ouvrir culturellement sur le monde, explique la principale intéressée. J'avais cette idée en moi depuis longtemps, mais quand il est mort -bip bip, bip (appel entrant)-, j'ai senti que je devais le faire. C'est une façon de lui dire merci de ne pas avoir été un père comme les autres. Il était spécialement...»

Bleeep... Silence radio. Communication coupée.

Le journaliste recompose le numéro.

Angélique Kidjo reprend où elle avait laissé. Elle raconte que son père était un intellectuel à l'esprit libéral. Qu'il jouait du banjo et de la clarinette. Qu'il travaillait aux Postes de Cotonou, ce qui a grandement favorisé son ouverture sur le monde. Et que, chez les Kidjo, c'était l'auberge espagnole. «Cela n'était d'ailleurs pas très bien vu dans le quartier, ajoute la chanteuse. L'insulte suprême - bip, bip, appel entrant -, c'est quand on nous traitait de Blancs.»

C'est dans ce contexte que la petite Angélique a fait son apprentissage musical. Son frère aîné jouait dans un groupe de top 40 et ramenait à la maison les derniers disques à la mode. Du lot, elle restera particulièrement marquée par les albums d'Aretha Franklin, de la Togolaise Bella Bellow et, surtout, de la Sud-Africaine Miriam Makeba, qui restera longtemps son grand modèle féminin.

«Makeba a été la première Africaine qui m'a fait me rendre compte que je pouvais avoir une carrière internationale et Aretha Franklin a été la première - bip. bip, bip, appel entrant - qui m'a fait réaliser que les femmes pouvaient aussi faire des disques... Vous savez, c'était - bip, bip, bip, appel entrant - très mal vu au Bénin d'être chanteuse. Dans la rue, on me traitait de prostituée. J'avais à peine 12 ans. On me crachait dessus. Un jour, en revenant à la maison on m'a...»

Bleeep... Silence radio. Communication coupée. Le journaliste recompose le numéro.

Où en étions-nous? Ah oui, au Bénin...

Il y a près de 30 ans que la chanteuse n'y vit plus. Après avoir quitté l'Afrique pour des raisons politiques, elle a vécu 15 ans en France avant de s'installer aux États-Unis, d'où elle mène désormais sa carrière.

Même si ce n'était pas le but, la chanteuse admet que son exil du Bénin lui a permis de mieux rayonner sur le circuit world beat. Devenue une des voix les plus connues de la diaspora africaine, elle fait désormais partie du jet-set «conscientisé», menant de front ses activités avec la fondation Batonga (pour la scolarité des jeunes filles africaines) et ses collaborations avec des grosses pointures grand public comme Quincy Jones, Annie Lennox et The Black Eyed Peas.

Vu sous cet angle, il n'était que normal que la chanteuse convie Bono à l'enregistrement de son nouvel album. C'est ainsi que, le temps d'une chanson (reprise de Move On Up de Curtis Mayfield), l'Irlandais pro-Afrique et l'Africaine fan de U2 ont croisé leurs voix.

Bizarrement, cette rencontre au sommet n'aura été que virtuelle. Trop occupés par leurs horaires respectifs, les deux artistes n'ont pas pu se voir en personne. «Je lui ai envoyé la chanson. Il a fait sa piste de voix et m'a renvoyé le tout», résume simplement Mme Kidjo.

Ce duo glamoureux lui permettra-t-il de sortir des ornières world pour rejoindre le grand public? «Je n'en sais rien, répond la chanteuse. C'est vrai que, pour moi - bip, bip, bip, appel entrant -, ça n'a jamais été facile de passer à la radio. Mais tout ce qui m'importe, au fond, c'est que la chanson soit belle et accessible aux gens - bip, bip, bip, appel entrant...

«Il faut m'excuser, mais je dois raccrocher. J'ai une autre entrevue...»

Bleeep... Silence radio... Communication coupée. Allô?

MONDE

ANGÉLIQUE KIDJO

OYO

RAZOR & TIE