En innu, Mishta Mashkenu signifie La grande route. C'est aussi le titre du nouveau disque de Florent Vollant, qui est un hommage à la route 138 - «la plus vieille route du Canada, et des bouts, ça paraît!» - et au mouvement en général.

La route 138, c'est le chemin qui longe le fleuve sur sa rive nord, et que l'ex-Kashtin a utilisé «de toutes les manières et dans toutes les conditions» depuis sa jeunesse.

«La 138, je l'ai faite en urgence, dans la tempête, la nuit, fatigué, en automne, sous la pluie, dans la brume, contre le vent, à pied, sur le pouce... Il y a juste à reculons que je ne l'ai pas faite!» 

Florent Vollant est né au Labrador, mais sa famille a été déplacée sur la Côte-Nord, sur la réserve de Maliotenam près de Sept-Îles, alors qu'il était tout jeune. «La 138 a pris un sens quand j'ai commencé à faire de la musique», dit ce nomade dans l'âme, qui parcourt le territoire avec sa guitare depuis l'âge de 16 ans. «Disons que Maliotenam est mon port d'attache et que Montréal est mon camp de base.»

L'auteur-compositeur-interprète maîtrise l'art du déplacement. C'est ce dont il parle sur ce nouveau disque qui traite d'attente, d'éloignement et de quête. «Mon équilibre est dans la route.» Toute sa vie, il est allé à la rencontre des différentes communautés autochtones, et il raconte ses histoires dans des chansons écrites en innu.

«Je m'adresse à qui veut bien m'entendre, précise-t-il. Je compte sur la mélodie pour faire entendre ce que je dis.» Ces mélodies sont, dans ce disque plus que jamais, portées par une américanité assumée. Violon, guitare et banjo laissent transparaître des influences tex-mex, country, bluegrass et dixie, sur un mode complètement débranché.

«C'est un disque très sobre, confirme Florent Vollant. Quatre musiciens, cinq instruments, pas de drum ni de bass, tout acoustique et très organique. Je suis sorti de mon confort pour aller dans plus confortable encore.»

En fait, Florent Vollant qualifie sa musique de « sweet grass », un terme que les musiciens autochtones qu'il écoutait pendant les années 70, alors qu'il était adolescent, utilisaient pour décrire leur musique. «C'est ce son-là que je voulais retrouver.»

Ouvrir le chemin

Florent Vollant vient de terminer un projet avec l'Orchestre symphonique de Montréal (OSM) et Kent Nagano, une présentation de l'opéra Chaakapesh, le périple du fripon, écrit par l'auteur cri Tomson Highway. Florent Vollant était un des trois narrateurs de ce spectacle qui a été présenté dans différentes communautés autochtones dans le nord du Québec. Le jour de notre rencontre, il revenait justement de Maliotenam, où la tournée venait de prendre fin.

«C'était tellement beau et émouvant, une vraie rencontre», dit Florent Vollant, qui estime que toute la démarche de l'OSM a été exemplaire. «C'est un coup de maître. Les autochtones ont été impliqués dès le début. C'est ce qui doit se faire, et non juste demander un Indian approved à la fin.»

Florent Vollant fait allusion bien sûr au débat sur la pièce Kanata qui a eu lieu pendant l'été. 

«La seule affaire qui les inquiète, c'est s'ils ont le droit de le faire. Si la réponse est oui, ils le font. Mais c'est de l'arrogance et il n'y a rien de rassembleur là-dedans.»

Alors que le Théâtre du Soleil d'Ariane Mnouchkine a annoncé que la pièce serait montée quand même, mais en intégrant la polémique, il estime que nous sommes loin de l'après-Kanata.

«On est encore dedans et ça va prendre du temps avant d'en sortir. Ce n'est pas juste Kanata, c'est tout le reste, ça fait longtemps qu'on s'approprie notre culture. Moi ça me choque qu'on nous tasse en disant: "On va la raconter votre histoire". En même temps, nous on ne l'a jamais racontée.»

Porte-voic

On lui fait remarquer que c'est quand même ce qu'il a fait au cours de sa carrière, un lien entre les deux cultures... «Moi j'ai servi à dire: "Regardez, on est là, on est vivants"», dit-il, admettant qu'il fait partie de ceux qui ont «ouvert la trail». Il regarde d'ailleurs avec fierté la nouvelle génération de jeunes créateurs autochtones qui, aujourd'hui, n'ont pas peur de prendre la parole et qui utilisent brillamment les réseaux sociaux.

«Ils viennent shaker le truc et j'ai envie d'être à leurs côtés. Natasha Kanapé Fontaine, Jeremy Dutcher, Elisapie, Samian. La différence avec l'époque de Kashtin, c'est que nous on était vus comme des curiosités. Les gens nous regardaient et disaient: "C'est qui ces gars-là?"»

Oui, mais on vous a beaucoup aimés, lui rappelle-t-on. «Et on a aimé beaucoup aussi», répond-il, ému. Florant Vollant l'avoue, il ne sait pas comment se fâcher.

«Pourtant je suis en christ, des fois ça se peut pas, par rapport aux autochtones qui sont éloignés, ignorés. Comme là, pendant les élections, est-ce qu'on en parle? Zéro pis une barre.»

Florent Vollant va continuer à arpenter la route 138 et plein d'autres, en Amérique et en Europe. Et à faire de la musique, car c'est pour ça qu'il est sur Terre. «Il va y en avoir d'autres disques, c'est certain. Je vais voir où la route va m'emmener.»

À celui-ci, il souhaite de devenir un classique. «Je l'aime beaucoup. Je voudrais qu'il brille, qu'on se le partage, qu'on l'écoute.» A-t-il l'impression d'être rendu au sommet de son art? «Je ne suis pas rendu, mais je suis quelque part.»

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CHANSON. Mishta Meshkenu. Florent Vollant. Instinct Musique.

Image fournie par Instinct Musique

Mishta Meshkenu, de Florent Vollant