Alain Lefèvre ajoute un autre chapitre à sa réhabilitation d'André Mathieu: le quatrième Concerto pour piano, oeuvre considérable en trois mouvements totalisant 40 minutes. Analekta vient de sortir l'enregistrement que Lefèvre en a réalisé en mai dernier avec le Tucson Symphony Orchestra et son chef George Hanson.

Il convient de rappeler ici comment la musique d'André Mathieu s'est retrouvée dans la lointaine Arizona. Lefèvre entend un enregistrement privé du concerto joué par Mathieu lui-même dans un arrangement pour piano seul. Impressionné, il charge Gilles Bellemare de réaliser une partition à partir de l'écoute attentive du document et de faire le partage entre ce que Mathieu avait destiné au piano et ce qu'il avait destiné à l'orchestre.

 

La partition terminée, Lefèvre persuade Hanson de donner l'oeuvre en concert et de l'enregistrer, chose relativement facile puisque Lefèvre, qui a travaillé en Allemagne avec le chef américain en 2003, l'a déjà convaincu de programmer à Tucson, avec lui au piano, le Concerto de Québec en 2004 et la Rhapsodie romantique en 2006.

Pour son troisième engagement à Tucson, le pianiste a même convaincu Hanson de monter tout un programme Mathieu autour du quatrième Concerto. C'est ainsi que le disque, enregistré lors de trois concerts successifs, est complété par les Scènes de ballet, pour orchestre, et les Quatre Chansons, version pour choeur et orchestre d'une oeuvre à l'origine pour voix seule et piano.

SelonGeorges Nicholson, qui termine la biographie définitive d'André Mathieu, celui-ci a laissé cinq oeuvres concertantes pour piano et orchestre. Les deux Concertinos sont en projet de concert et de disque. Pour l'instant, nous disposons des trois principales oeuvres piano-orchestre dans des enregistrements de Lefèvre, tous chez Analekta: le Concerto de Québec (qui est en fait le troisième Concerto) enregistré avec l'OSQ, la Rhapsodie romantique enregistrée avec l'OSM et - c'est le présent disque - le quatrième Concerto avec Tucson.

Reste à savoir ce qui est de Mathieu et ce qui est de Bellemare dans ce que nous écoutons. Mathieu composa son quatrième Concerto en 1947-48. Il n'avait pas 20 ans mais connaissait la musique de Rachmaninov et savait broder dans le style du légendaire pianiste-compositeur. Mais savait-il, à cet âge, exploiter aussi bien - aussi bien que Bellemare, en fait! - les ressources de l'orchestre? Sans doute pas.

Peu importe. Il faut prendre cette «reconstitution» pour ce qu'elle est: une oeuvre grandiloquente, pleine de contrastes (danse sauvage au milieu du mouvement lent, accalmie interrompant le trépidant finale), où le pianiste, sollicité presque sans répit, multiplie arpèges, trilles, masses d'octaves et traits vertigineux sur toute l'étendue du clavier. Lefèvre possède la très forte technique requise ici et l'orchestre, sans être de tout premier plan, est plus que convenable.

Les Scènes de ballet, de 1938-45, contiennent de beaux passages mais la dernière est interminable. (Rappelons que l'oeuvre partageait avec le Concerto de Québec (soliste: Philippe Entremont) le disque Mathieu que Michel Plasson et l'Orchestre du Capitole de Toulouse réalisèrent en 1978 lors d'un passage à Montréal.)

Quant aux Quatre Chansons de 1946-57, elles sont d'un intérêt limité et sont chantées par des choristes aux jolies voix mais au français appris «au son» et à peu près incompréhensible.

L'auditoire applaudit les trois oeuvres, et surtout le quatrième Concerto, raison d'être du disque. Il sera joué le 27 octobre à Paris par Lefèvre, qui le donnera finalement à l'OSM au printemps 2010.

CLASSIQUE

ANDRÉ MATHIEU

ALAIN LEFÈVRE, PIANISTE.

TUCSON SYMPHONY ORCHESTRA AND CHORUS. DIR. GEORGE HANSON. ANALEKTA, AN 29 281

***1/2