Pourtant intéressante, l'idée trouve rarement le chemin du concert ou même du disque. Cette idée, c'est la présentation en bloc des trois sonates pour piano dites «Sonates de guerre» de Prokofiev, soit les sixième, septième et huitième, entreprises toutes trois au début du conflit mondial de 1939-45 et créées l'une après l'autre pendant les hostilités.

Sauf erreur, c'est une première montréalaise que Stephane Ginsburgh nous donnait jeudi soir au Bon-Pasteur. Inconnu ici, le pianiste bruxellois d'origine judéo-russe (qui écrit son prénom sans accent aigu) faisait alors ses débuts au Canada avant d'aller reprendre son cycle Prokofiev à San Francisco.

 

Non seulement fit-il des trois sonates un unique programme, mais il les joua d'affilée, sans jamais sortir de scène. Voulant ainsi créer, dit-il, une unité, il rejoint les commentateurs qui voient là «une immense sonate en 10 mouvements». Sa prestation possédait effectivement une unité de pensée, d'expression et de couleur pianistique, les changements de climat étant ramenés à un dénominateur commun: la force rythmique qui habite tout ce qu'il joue.

Sans être un virtuose spectaculaire, M. Ginsburgh reste un solide technicien à qui cette musique acrobatique ne cause pas vraiment de problèmes (deux ou trois petites imprécisions ne sont rien). Et si d'autres vont plus loin dans le lyrisme et l'humour noir, il traduit toujours ces pages avec une réelle sensibilité.

Sa traversée non-stop des opus 82, 83 et 84 a totalisé une heure et demie. Il a brièvement parlé au tout début. Concernant les voyages de Prokofiev, il a mentionné l'Europe uniquement. Peut-être ignore-t-il que le compositeur séjourna en Amérique... et même à Montréal? Il jouait avec les partitions... mais les regardait à peine!

En attendant le retour d'Europe de son Fazioli, le Bon-Pasteur avait jeudi soir un Steinway différent de celui du jeudi précédent, cette fois un instrument de 1890 environ. Une certaine dureté dans l'aigu convenait, en fait, à cette musique généralement violente.

Le Trio Fibonacci

Vendredi soir à Redpath, le Trio Fibonacci ouvrait sa 10e saison avec un nouveau pianiste et deux créations, de l'Italien Roberto Rusconi et du Montréalais Marc Hyland. Les deux pièces évoquent les découvertes musico-acoustiques de théoriciens italiens des siècles passés, respectivement Zarlino et ce même Fibonacci dont notre trio a adopté le nom. Le lien entre ces savants écrits et ce qu'on entend reste à établir. Pour l'instant, voici deux travaux fort valables sur les sonorités et différentes façons de les produire. Rusconi prend 10 minutes. Hyland en prend 20. C'est deux fois plus... et presque deux fois trop.

Après les dissonances, le Trio op. 49 de Mendelssohn nous vaut deux sujets d'étonnement: une passion romantique peu associée aux interprètes de musique actuelle et... les écarts de justesse de l'as violoniste.

STEPHANE GINSBURGH, pianiste. Jeudi soir, Chapelle historique du Bon-Pasteur. Programme consacré à Sergueï Prokofiev: Sonate no 6, la majeur, op. 82 (1939-40) Sonate no 7, en si bémol majeur, op. 83 (1939-42) Sonate no 8, en si bémol majeur, op. 84 (1939-44)

TRIO FIBONACCI - Julie-Anne Derome (violon), Gabriel Prynn (violoncelle) et Hugues Leclère (piano). Vendredi soir, Redpath Hall de l'Université McGill. Programme: La visione de Zarlino (2008) (création) - Roberto Rusconi Chants du Signe (2008) (création) - Marc Hyland Trio no 1, en ré mineur, op. 49 (1839) - Felix Mendelssohn