À 20h55, jeudi soir, quand Yannick Nézet-Séguin a salué la foule du Metropolitan Opera, il a eu droit à des salves d'applaudissements enthousiastes, et des bravos ont fusé de toutes parts. Ce n'était pourtant que le début du troisième acte, après l'entracte.

Le ténor Marc Hervieux, qui était dans la salle, a été profondément ému par la réaction «extraordinaire» de ce public réputé connaisseur, et parfois même difficile, à l'égard du jeune chef montréalais. Les soirs de première, l'accueil est habituellement plus réservé.

Croisé après la première représentation de cette nouvelle production du célèbre opéra de Bizet, dont le Met a confié la direction musicale à Nézet-Séguin, Hervieux parlait d'un moment historique pour le monde de la musique classique et de l'opéra québécois. «C'est grandiose, ce que font Yannick et d'autres Québécois actuellement: Marie-Nicole Lemieux, Manon Faubel, Jean-François Lapointe... Yannick dirige pour la première fois Carmen, ce sont ses débuts au Met, à son jeune âge (34 ans), et il est déjà engagé pour cinq opéras!»

Dans la salle, l'enthousiasme était tout aussi palpable. J'ai entendu des habitués du Met louanger la mezzo-soprano Elina Garanca, une Carmen ensorcelante capable de chanter, de jouer et de danser avec brio; d'autres ont dit que cette nouvelle production, signée par le metteur en scène Richard Eyre, était de loin supérieure à la précédente de Franco Zeffirelli, créée en 1997. J'ai surtout vu les 4000 spectateurs acclamer chacun des chanteurs et même le couple de danseurs dont la choréraphie sensuelle ouvre le troisième acte.

«La production a fait un effet maximal sur ce public de première», a reconnu Nézet-Séguin quand La Presse l'a tiré d'une nuit écourtée pour recueillir ses réactions, hier midi. C'est que, après la représentation, le chef a dîné dans le hall du Met, sous les Chagall, avec les quelque 400 convives qui avaient payé environ 1700$ chacun. Il y était quand le premier ministre Jean Charest l'a appelé pour lui souhaiter une bonne année et lui dire combien les Québécois sont fiers de lui. Puis, après le feu d'artifice présenté sur l'esplanade du Met et la danse, le chef a fêté avec les principales vedettes de Carmen avant de regagner son pied-à-terre new-yorkais vers 5h.

«J'ai senti dès le début la qualité de l'écoute, les gens étaient suspendus aux lèvres de Carmen pendant sa Habanera, ajoute Nézet-Séguin. Tous les interprètes parlent de l'attention du public, mais c'est moins évident pour le chef, qui fait dos à la salle. Cette fois, je la sentais. J'ai eu tellement de plaisir! Pour moi, non seulement ce fut inoubliable, mais j'en ai vraiment profité.»

Ému

L'accueil des spectateurs au retour de l'entracte l'a beaucoup ému, même s'il a vécu pareille expérience à Salzbourg, en Autriche, à l'été 2008. «J'étais encore plus ému parce que, pour avoir assisté à des opéras au Met, je sais que ça se produit habituellement quand le directeur musical du Met, James Levine, est au pupitre - il est adoré du public, ici. Avec raison: c'est leur chef. Mais qu'ils fassent cela pour le nouveau venu, j'ai vraiment senti que c'était comme un grand «bienvenue à New York»», dit Nézet-Séguin en riant.

Devant son lutrin, le chef a passé l'essentiel de la soirée à regarder les chanteurs sur la scène plutôt que de lire sa partition. «Barbara Frittoli (qui incarne Micaela, la rivale de Carmen pour l'amour de Don José) l'a remarqué et elle m'a remercié; elle a dit que c'est tellement rare qu'un chef les regarde sur scène», raconte Nézet-Séguin.

Le seul petit bémol de cette soirée, ce sont les rares huées qui se sont glissées parmi les applaudissements destinés au metteur en scène Richard Eyre et à son équipe. «C'est un peu normal, il y a toujours quelques huées pour une nouvelle production. Mais il y a surtout eu des bravos. Rien à voir avec Tosca!» rappelle Nézet-Séguin en référence aux huées nourries et aux critiques acerbes réservées à la production du metteur en scène suisse Luc Bondy qui a ouvert la saison du Met en septembre dernier, reléguant aux oubliettes une autre production de Zeffirelli qui était montée depuis 25 ans.

Après avoir décanté cette expérience étourdissante, Nézet-Séguin va diriger l'orchestre du Met pendant cinq des 13 prochaines représentations de Carmen, dont celle du 16 janvier, diffusée en HD dans le monde entier. Entre-temps, il sera à Montréal le 9 janvier pour répéter le programme Brahms-Bruckner qu'il donnera avec l'Orchestre Métropolitain à Wilfrid-Pelletier, le 11. On le reverra ensuite diriger son autre orchestre, le Philharmonique de Rotterdam, le 21 février dans la même salle.