L'idée de départ était intéressante : présenter la culture japonaise au public montréalais sous différents angles. Kent Nagano aime les concerts thématiques, et le public en redemande. La salle Wilfrid-Pelletier était donc comble pour la présentation des Mystères du Japon, hier après-midi.

Le tout a commencé par des chansons pour jeunes filles, Onna-no-ko no uta, orchestrées par le compositeur français Jean-Pascal Beintus. Kent Nagano lui a commandé cette orchestration dans le but de sauver ces chants traditionnels de l'oubli dans lequel ils risquent de tomber. Après tout ce que le chef d'orchestre en avait dit en conférence de presse, les attentes étaient élevées.

Malheureusement, ce fut la partie la plus décevante du spectacle. Décevante, parce qu'à partir d'un matériau de base magnifique, Beintus a concocté de la banale musique de film, avec des arrangements tellement kitsch et sirupeux que l'on n'aurait pas été étonnés d'entendre des gazouillis d'oiseaux ou de voir descendre une pluie de pétales sur la scène.

Par ailleurs, le choeur d'enfants, une bonne idée, aurait pu être mieux exploité. Quant à l'interprétation de Suzie LeBlanc, elle fut plutôt fade. Et comme si le tout n'était pas déjà d'une facilité hollywoodienne, on a cru bon d'ajouter un écran inutile projetant des images sans intérêt : bâton d'encens qui brûlent et nénuphars.

Dans un style diamétralement opposé, nous avons assisté à la création d'une oeuvre du compositeur montréalais Chris Paul Harman, aussi professeur à McGill. Le maestro lui avait demandé d'écrire une pièce faisant référence à l'expérience vécue dans les camps d'internement par les Canadiens d'origine japonaise, durant la Seconde Guerre mondiale. Chris Paul Harman a puisé son inspiration dans le roman Obasan, de l'écrivaine Joy Kogawa, qui a connu cette injustice.

Le compositeur a fait preuve d'intuition en évitant de tomber dans le piège de la musique descriptive. Son élément de base est une chanson populaire américaine présente dans le roman et composée en 1873, dont il a repris le titre pour son oeuvre: Silver Threads Among the Gold. Il s'est amusé à varier la mélodie et à la déconstruire de multiples façons, avec des dissonances et des distorsions donnant l'impression d'être dans un rêve ou dans un assemblage de souvenirs rendus flous par le passage du temps. Le résultat est intéressant et l'atmosphère réussie, bien qu'il y ait peu de progression dramatique entre le début et la fin de l'oeuvre. Il s'agit plutôt d'une succession de tableaux insolites.

Petit conseil à ceux qui assisteront au concert demain soir : il serait futé, pour mieux apprécier l'oeuvre, d'écouter à quelques reprises la chanson américaine originale, dont quelques versions se trouvent sur YouTube. On pourra ainsi s'amuser à repérer les fragments de mélodie dans l'oeuvre, fil conducteur sans lequel on risque de se sentir perdu.

En deuxième partie du concert, la soprano albanaise Ermonela Jaho s'est avérée flamboyante dans l'interprétation d'une Madama Butterfly plus grande que nature. Si la voix de cette diva que l'on décrit comme une étoile montante de la scène lyrique est puissante et dotée de très beaux pianissimi, sa gestuelle est exagérée, faisant d'elle une Cio-Cio San un peu caricaturale.

L'oeuvre Hi-Ten-Yu, pour taiko et orchestre, du Japonais Isao Mathushita concluait le spectacle. Il en a aussi été le clou grâce à son interprète, l'athlétique percussionniste Eitetsu Hayashi, qui a soulevé l'enthousiasme de l'assistance. Mais le rappel vibrant qu'il nous a donné, sans l'OSM, prouvait en cinq minutes que le tambour japonais n'a besoin ni de s'entourer d'instruments symphoniques ni de se plier à la logique de la musique occidentale pour toucher l'auditeur.