Une des choses les plus remarquables du ténor québécois, c'est sa fierté à être un «enfant du peuple», un «p'tit gars de l'Est» content de l'être, qui mesure et apprécie le chemin parcouru, mais n'hésite pas à se retourner pour sourire avec amour à ses origines. Ce soir, le p'tit gars a rencontré son peuple, si on peut dire, en donnant une belle première, étonnante à plus d'un titre, au Monument-National.

Car, de même qu'il a surpris tout le monde en lançant un tout premier album pop plutôt que classique (le disque Après nous en automne dernier), le ténor québécois Marc Hervieux a surpris de nouveau ce soir en présentant un spectacle où ses années de chanteur dans des orchestres de mariage et des groupes de «covers», quand il était plus jeune et pas ténor, étaient manifestes. Et assumées, solidement mariées à la puissance de ses cordes vocales, son sens inné du spectacle, son aisance à établir le contact avec le public, son amour du country, sa désarmante candeur qui lui permet d'expliquer qu'il est «braillard» sans avoir l'air ridicule ou démagogue, son humour... Et son courage, car cela en prend beaucoup pour, comme il l'a dit, «sortir de sa zone de confort à 40 ans». Du coup, il a aussi demandé au public de faire de même.

On retiendra en effet de cette soirée les moments où Hervieux a fait «autrement» et on l'y a suivi avec plaisir. Par exemple, lors d'un incroyable medley d'introduction, préparé pour «briser son image de chanteur classique» : lancée par un prologue de musique de chambre, la chanson J'ai un bouton su'l bout d'la langue de La Bolduc a été entonné avec vigueur et chaleur, suivie d'une version en italien de La ballade des gens heureux, enchaînée à un I Feel Good de James Brown bien senti pour se terminer sur une version hilarante de... N'importe quoi d'Éric Lapointe («Oups, je pense que j'articule trop...»). Vous avez dit surprenant ?

Même heureuse surprise lorsqu'il a repris en très jolie version folk acoustique Always on My Mind popularisée par Elvis Presley, puis le classique country Mille après mille (en imitant avec le sourire Willie Lamothe au refrain), et enfin Caruso, de Dalla, qui retrouvait ainsi des airs de fraîcheur. Généreux, il a aussi demandé à sa choriste (l'excellente Julie Massicotte, un peu guindée en première partie, mais qui devrait prendre toute l'aisance voulue dans les spectacles à venir) chanter en duo avec lui plusieurs chansons et franchement, que ce soit l'incontournable Vivo per lei d'Andrea Bocelli ou The Prayer popularisée par Josh Groban, c'était agréable. Et absolument tout le monde a succombé quand Hervieux a interprété, sans aucun micro (et ça ne posait tellement pas de problème !) la délicieuse chanson napolitaine Torna a Surriento : c'était simple et senti, pour tout dire adorable.

Soirée extrêmement agréable, donc, mais tout n'est pas encore placé dans ce spectacle, et il faudra peut-être que le directeur musical Gilbert Fradette, qui est aussi à la batterie, résiste mieux à la tentation de se transformer parfois en métronome. Et qu'il résiste aussi à l'attrait de faire jouer ses neuf musiciens très fort parce que le chanteur chante fort. C'était remarquable dans les numéros moins «pop rock» : il y avait à ce moment de la place pour la modulation, des nuances, et donc de la place pour l'émotion. Comme le résumait très bien une spectatrice: «C'est pour sa voix qu'on vient l'entendre». Qu'on me comprenne bien : du rock, du «up tempo», c'est bien et ça convient aussi à Hervieux, mais l'oreille sature quand elle est trop remplie, comme elle l'a été parfois par la voix du chanteur, plus la batterie très sèche, plus les claviers, plus les cordes, les cuivres, la guitare, la basse... «Less is more», comme disait l'autre.

D'ailleurs, à cet égard, la mise en scène de Joël Legendre est réussie parce qu'elle simple et bien pensée, alors que le décor est tout aussi simple et réellement charmant (une vingtaine de lutrins accrochés dans le rideau de scène et éclairés). Quant à Hervieux, il a donné un généreux spectacle de plus de deux heures (23 chansons, sans compter les deux medleys), signé des tas d'autographes à la fin de la représentation et démontré hors de tout doute que le «p'tit gars de l'Est» est un grand artiste populaire, dans tous les sens du terme.

Marc Hervieux est à Québec (les 7 et 8 avril), à Drummondville (le 9), à Brossard (le 10) et à Laval (le 16), avant de reprendre sa tournée partout en septembre.