À la demande du chef Kent Nagano, l'écrivain Yann Martel réinvente le mythe de Prométhée. Doit-il être puni parce que le feu, volé aux dieux pour réchauffer les hommes, surchauffe maintenant la planète?

Coupable ou non coupable? Le sort de Prométhée sera tranché le 11 mai par les mélomanes qui assisteront au concert Kent Nagano, Yann Martel... Beethoven! donné par l'OSM.

Voilà des années que Prométhée est puni par les dieux parce qu'il a volé le feu pour le donner aux hommes. Chaque jour, un aigle lui ronge le foie, qui repousse sans cesse. Assez de torture. Il demande une «libération conditionnelle».

Le procès prend la forme d'un dialogue entre les mots et la musique. Le texte de Martel, lu par le comédien Michel Dumont, jouera le rôle de l'avocat de la Couronne. La musique de Beethoven, des extraits du ballet Les Créatures de Prométhée et de la Symphonie héroïque, assurera la défense. Le public prononcera son verdict par ses applaudissements.

«J'ai demandé à M. Martel d'écrire un texte qui place le mythe dans le contexte de 2010, pour comprendre en quoi il est toujours très actuel, comme la musique de Beethoven, explique le chef Kent Nagano. Lorsqu'une société est en profonde transformation, la culture joue un rôle très important en apportant des explications. C'est pour cela que nous faisons Prométhée aujourd'hui!»

Lorsqu'il a reçu le texte, cet hiver, il ne cachait pas son enthousiasme: «C'est formidable. Très provocant!» «Avec subtilité», dit-il, l'auteur de Histoire de Pi explore les notions de bien et de mal, de culpabilité, de victime des circonstances.

«Beethoven était très influencé par la Révolution française. Il se servait de Prométhée comme d'une espèce de figure héroïque révolutionnaire qui s'est rebellé contre les dieux, a volé le feu pour l'amener au peuple. Il y a un aspect napoléonien à Prométhée qui avait attiré Beethoven», souligne pour sa part Yann Martel.

Pour actualiser le sujet, l'écrivain est passé de la Révolution française à celle des changements climatiques. «Chaque révolution a ses excès. On gelait parce qu'on n'avait pas le feu. Mais qu'est-ce qu'on a fait avec le feu? On a surchauffé la planète.»

Le mythe de Prométhée, qui a façonné les hommes avec de la glaise, a séduit plusieurs artistes du début du XIXe siècle, aux prises eux aussi avec une société en mutation. «Les idées de démocratie, d'égalité, la valeur de l'individu, tout cela c'était nouveau, rappelle Kent Nagano. La musique de Beethoven était particulièrement importante parce qu'elle est devenue celle du peuple. Par ses symphonies, sa musique de chambre, il a cassé l'idée d'une musique appartenant à une élite.»

C'est en songeant à Napoléon que Beethoven a écrit la 3e symphonie, la Symphonie héroïque. Après le sacre de l'empereur, le musicien, profondément déçu, aurait rayé le nom du titre. Ici encore, le héros a abusé de son pouvoir. «Le thème du dernier mouvement des Créatures de Prométhée est le même que celui du dernier mouvement de la symphonie héroïque. Et ce n'est pas par accident», précise Kent Nagano.

La commande de Kent Nagano à Yann Martel avait ceci de particulier que les mots ne devaient pas se mélanger à la musique. La difficulté a été de trouver une trame narrative qui ne mettait pas l'orchestre ou le texte en arrière-plan. Après plusieurs essais, l'écrivain a trouvé un filon.

- C'est un peu audacieux, non?

«Je ne sais pas. L'idée me semblait bonne. On va voir si elle marche. Après tout, c'est un seul personnage contre tout un orchestre!» avance Yann Martel, dont le nouveau roman, Beatrice&Virgil, figure en tête des palmarès au Canada, malgré des critiques très partagées (on l'encense dans le USA Today, on le démolit dans le New York Times).

Après un poème sur l'eau pour le projet spatial de Guy Laliberté, le texte pour l'OSM est la deuxième commande en peu de temps pour l'auteur. «C'est très rare que j'accepte des commandes comme ça. Parce que je n'ai pas une plume facile. J'écris très lentement. Ce sont deux projets qui m'ont plu.» Non, Yann Martel n'a pas du tout envie de devenir «l'écrivain officiel» canadien, pas même celui du premier ministre Harper, à qui il envoie des suggestions de livres deux fois par mois!

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Kent Nagano, Yann Martel... Beethoven!, salle Wilfrid-Pelletier, le 11 mai, 20h. Le concert sera enregistré pour faire l'objet d'un album.