Le récital du pianiste Cédric Tiberghien, présenté hier soir par le Festival de Lanaudière à la petite église historique de Saint-Paul-de-Joliette, fut retardé d'un quart d'heure, cette fois pour une bonne raison. Un accident dont j'ignore la nature avait complètement paralysé la circulation sur l'autoroute - déjà encombrée de ces perpétuels «travaux d'été» - qui mène de Montréal à Joliette. Heureusement, des personnes qui se rendaient au concert avaient eu la présence d'esprit d'en informer par téléphone la direction du Festival.

Une remarque, concernant ce village situé au sud de la «capitale» de Lanaudière. La petite route qui y conduit débouche à un moment donné sur une fourche et il n'y a pas là le moindre panneau indiquant d'aller à gauche ou à droite. Je vais presque chaque année à Saint-Paul, mais je ne passe pas l'hiver à me remémorer qu'il faut aller à droite!

Le chauffeur qui me conduisait à Saint-Paul hier soir a, bien sûr, pris la gauche. Se rendant bientôt compte de son erreur, il fit une rapide volte-face dans une entrée de maison, faillit frapper un gros chien qui courait après la voiture en jappant, demanda à toute vitesse son chemin à la maîtresse du chien qui lui répondit à la même vitesse «C'est par là!», et arriva à destination juste à temps pour le concert.

J'atterris sur mon banc (car nous sommes à l'église!) au moment même où le pianiste plaquait son premier accord fortissimo.

Cédric Tiberghien avait centré son programme sur la mazurka, l'une des danses les plus caractéristiques de l'âme polonaise. En cette année du bicentenaire de la naissance de Chopin, le Festival a invité une dizaine de pianistes à se partager quelque 150 pièces du compositeur polonais. De ce dernier, M. Tiberghien avait choisi huit des quelque 60 Mazurkas et étendu sa rétrospective aux Mazurkas composées plus tard par d'autres Polonais comme Alexandre Tansman et Karol Szymanowski et le Russe Alexandre Scriabine.

Le programme totalisait 19 Mazurkas de quatre compositeurs. De quoi surnommer «Monsieur Mazurka» notre pianiste, qui complétait son menu en puisant de nouveau chez Chopin, cette fois aux pages plus longues: première Ballade, premier et deuxième Scherzos, Polonaise-Fantaisie.

La brochure du Festival plaçait tout le Chopin en début de programme et le reste ensuite. Le pianiste eut la bonne idée de modifier cet ordre: du Chopin au début, du Chopin à la fin, le reste au milieu, ce qui soulignait la nette supériorité du grand Polonais, même si les Mazurkas des trois autres, celles de Szymanowski en particulier, sont assez audacieuses aux plans harmonique et rythmique.

M. Tiberghien, qui a 35 ans et faisait ses débuts à Lanaudière (mais non au Québec), est un technicien accompli et un musicien respectable, avec une belle puissance de son. Dans ses meilleurs moments, il rejoint le niveau d'un très bon sujet de conservatoire. Il a livré les Mazurkas de Chopin avec une certaine élégance mais peu d'imagination et n'a pu rendre celles des autres plus intéressantes qu'elles ne le sont. Je lui reconnais cependant le mérite d'avoir mémorisé ces milliers de notes et le zèle à défendre un répertoire aussi obscur.

Des oeuvres plus substantielles de Chopin, M. Tiberghien donne une image bien déformée. Il joue les Scherzos beaucoup trop vite et beaucoup trop fort et délaie les trios médians en d'interminables rubatos. D'ailleurs, ses rubatos dégénèrent le plus souvent en d'insupportables maniérismes que trop d'auditeurs prennent hélas! pour de la «profondeur». Quelle idée aussi d'enchaîner une Mazurka à un Scherzo, comme s'il s'agissait d'une même pièce!

Dans la première Ballade, on le voit s'énerver comme un élève, alors que la Polonaise-Fantaisie glisse sur un slow motion des plus ridicules. Le pianiste a quand même annoncé un rappel où j'ai cru reconnaître... une Mazurka de Chopin.

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CÉDRIC TIBERGHIEN, pianiste. Hier soir, Église de Saint-Paul-de-Joliette. Dans le cadre du 33e Festival de Lanaudière. (Radiodiffusion: Radio-Canada, 20 juillet, 20 h.)