Robert Lepage a senti une «sorte de consécration» lundi soir à New York. Il nous l'a dit peu après la première de Das Rheingold, prologue du Ring de Wagner, au Metropolitan Opera. La réaction enthousiaste du public n'était que le prélude aux critiques des deux côtés de l'Atlantique qui ont généralement encensé hier son opéra.

Le critique du New York Times parle d'un «succès impressionnant, en grande partie». Sur le plan technique, le Times écrit que Lepage a réalisé «des prouesses technologiques qui misent sur des éléments de vidéo sophistiqués sans jamais que cela ne devienne une simple projection vidéo».

La Presse a rencontré Lepage au gala qui a suivi cette grande première de la saison 2010-2011 du Met et qui réunissait sous une grande tente érigée à côté du Lincoln Center tout le gratin new-yorkais, de même que plusieurs vedettes hollywoodiennes, dont Patricia Clarkson, Meg Ryan, Anjelica Huston, Vera Farmiga et Holly Hunter.

Q : Votre version du Ring de Wagner était très attendue. Elle a suscité un intérêt hors du commun. Maintenant que la glace est enfin brisée, quels sentiments vous habitent?

R : Je suis très satisfait. Mais un peu frustré parce qu'à la toute fin de l'opéra, on n'a pas pu présenter le dernier tableau parfaitement (NDLR: un pépin technique a empêché l'immense structure de 24 pales de se déployer comme prévu, privant le Ring d'une finale sur un effet d'arc-en-ciel grandiose). On a eu le même problème technique à la générale. On va essayer de saisir pourquoi ça ne s'est pas passé comme prévu. Mais bon... les gens ne s'en sont pas rendu compte. C'est tout de même malheureux parce qu'on avait ce qu'on appelle en anglais un closing wall et on n'a pas pu le présenter. Ça va forcer les gens à aller voir la retransmission en HD. Sinon, on est très heureux!

Q : Avez-vous l'impression d'avoir fait entrer Wagner dans le XXe siècle?

R : Oui, et c'est sûr que ça crée toujours beaucoup de désaccord. Il y avait des traditionalistes dans la salle (NDLR: quelques huées ont été entendues à la fin de la représentation) et on les attendait. C'est souvent comme ça, un soir de première! Mais dans l'ensemble, on sentait l'enthousiasme de la salle.

R : Le public était vraiment emballé et c'était sincère. Ça fait plaisir! À la fin, il y a eu une ovation spontanée, les gens ont crié bravo à tout rompre. Le public était content. Et parmi les commentaires que j'ai entendus jusqu'à maintenant, on a dit que la jeunesse était ramenée à l'opéra. Le mandat que m'avait confié Peter Gelb (NDLR: le directeur général du Met) était justement de revitaliser l'opéra. Ce soir, il y avait le public d'opéra habituel, le gratin de New York, mais aussi des gens qui ne vont jamais à l'opéra. Et ils étaient probablement les plus emballés. Cet enthousiasme devrait se propager!

Q : On l'a dit, le pari était très risqué. Lorsque vous avez entendu ces bravos alors que vous avanciez sur la scène du Metropolitan Opera, qu'est-ce qui vous a traversé l'esprit?

R : C'est sûr que New York, ce n'est pas le centre du monde... mais j'avoue que j'ai senti une sorte de consécration. Ça arrive rarement dans une carrière. Oui, on a des succès, des triomphes. Mais ce soir, ces bravos, ils étaient idéologiques! Un signe que les gens voulaient que ça change, que ça bouge, que l'opéra devienne autre chose. Pas seulement le Metropolitan Opera, mais que tout le monde de l'opéra soit animé par un nouveau souffle. C'est ce qui me fait dire mission accomplie.

Q : Où situez-vous cette réussite dans l'ensemble de votre carrière?

R : La représentation de ce soir n'est que le prologue à une aventure encore plus grande, plus spectaculaire, plus exigeante. (NDLR: Lepage mettra en scène les trois autres opéras de la Tétralogie de Wagner dont les représentations au Met s'échelonneront jusqu'au printemps 2012.) Je ne peux pas m'asseoir sur mes lauriers. Ce qui s'en vient sera plus complexe, plus rafraîchissant, mais encore plus audacieux. Il va donc falloir tenir le coup. Alors, je ne ressens pas le relâchement qui accompagne habituellement l'après-soir de première. La fusée a décollé. Elle va atterrir dans plus de deux ans!

Q : Ouvrir la saison du Met, qu'est-ce que ça représente pour vous?

R : C'est très prestigieux. Mais en même temps, c'est fait avec le soutien de toute une équipe (NDLR: Ex Machina qui a créé tous les éléments de décors et effets spéciaux), et surtout d'un directeur général (Peter Gelb) qui est un vrai visionnaire. Le Met n'est aucunement subventionné par l'État. C'est le mécénat qui finance l'opéra. Le vieux et le nouveau mécénat. Et Peter prend énormément de précautions dans sa façon de changer un répertoire, d'attirer un nouveau public. Il marche constamment sur des oeufs. Et il le fait avec un goût, un enthousiasme et une rigueur que je ne trouve chez aucun autre directeur d'opéra. De travailler avec le maestro James Levine est aussi un grand privilège. Sa santé est fragile, il vieillit. Je profite de chaque instant avec lui, de tout ce que je peux apprendre. Je suis très privilégié d'être accueilli dans une telle famille. Sans compter les chanteurs (Bryn Terfel, Deborah Voigt, Stephanie Blythe, Jonas Kaufmann). Ce sont parmi les plus grandes voix wagnériennes au monde et ils ont accepté ma vision de tout leur coeur. C'est très satisfaisant.