OEuvre très forte et très complexe où les conflits politiques et religieux se mêlent aux passions secrètes et aux intrigues, en pleine Inquisition espagnole, Don Carlo est l'un des plus grands opéras de Verdi : puissant scénario, vaste distribution dominée par six rôles majeurs, musique d'une riche invention confiée tant à l'orchestre qu'aux voix solistes qui se partagent des airs substantiels parmi les plus célèbres du répertoire.

Don Carlo est monté cette saison au Metropolitan de New York dans une nouvelle production du Britannique Nicholas Hytner, dans la version intégrale en cinq actes (on omet parfois le premier acte) et dans l'adaptation courante en italien (rappelons que l'oeuvre fut créée en français sous le titre Don Carlos.

La représentation d'hier après-midi était diffusée dans les cinémas spécialisés et, en ce qui concerne les salles de Montréal et la région, avec un succès de box-office qui s'explique facilement : la direction musicale du nouveau Don Carlo est confiée à Yannick Nézet-Séguin, dont c'est le deuxième engagement au Met, après Carmen en début d'année.

Le spectacle est très long : quatre heures et demie, y compris deux entractes. (Le magazine Opera News indique erronément une durée de cinq heures.)

Comme l'oeuvre, la distribution est très forte et les gros plans en soulignent la dimension. Les deux femmes amoureuses du même homme, Carlo, infant d'Espagne, sont au coeur de l'action et incarnées par deux imposantes Russes : la pure soprano Marina Poplavskaya, en Élisabeth de Valois mariée de force au roi Philippe II, père de Carlo, et la spectaculaire mezzo Anna Smirnova, en princesse Eboli, qui est désespérément amoureuse de Carlo et intrigue contre Élisabeth.

La basse Ferruccio Furlanetto campe un Philippe II impassible devant tout, mais qui ne peut dissimuler ni sa tristesse face à l'indifférence d'Élisabeth, ni sa crainte du Grand Inquisiteur, nonagénaire aveugle, grimaçant, la haine à la bouche, et tout habillé de rouge -- rouge sang ? -- joué par la basse profonde Eric Halfvarson.

Carlo et Don Rodrigo, son compagnon de lutte contre la terreur exercée par Philippe II, sont incarnés respectivement par le ténor Roberto Alagna et le baryton Simon Keenlyside, tous deux en voix et inspirés.

Les confrontations de certains personnages sont terrifiantes et les scènes de foule sont magistralement conduites. Celle de l'autodafé fait frémir.

Dans la fosse, Nézet-Séguin fait sonner l'orchestre de Verdi avec une force orageuse qui précède, appuie ou prolonge ce qui se passe sur la scène. Il a d'ailleurs fait l'objet d'une des interviews que mène Deborah Voigt aux entractes.

Les costumes sont somptueux et les moines à capuchon, portant des cierges, sont sinistres. Les décors offrent un curieux mélange de techno, de stylisé et de réaliste. Les arbres de la forêt de Fontainebleau sont on ne peut plus dénudés, le jardin de la reine est d'une incroyable laideur et la façade de la cathédrale fait penser à la maison de la Sorcière de Hänsel und Gretel. Quel dommage que ces éléments viennent ternir une telle réussite musicale et dramatique.