Anna Nicole Smith, la plus tristement célèbre playmate des temps modernes, revit le temps d'une soirée sur la scène du Royal Opera House de Londres (Covent Garden), dans un nouvel opéra du compositeur britannique Mark-Anthony Turnage.

Née dans la controverse, l'oeuvre fait rager les puristes et attire un public bigarré dans ce temple de l'art lyrique international. Rencontre improbable entre deux univers que tout sépare, et triomphe pour les interprètes, dont le baryton-basse montréalais Gerald Finley.

Les uns crient au scandale, se demandent ce que l'égérie de la culture trash américaine vient faire à l'opéra. Les autres en redemandent, convaincus de la pertinence du sujet, de son actualité brûlante et de ce qu'il raconte sur notre époque. En ce soir de dernière, le vendredi 4 mars, le Royal Opera est plein à craquer, des dizaines d'optimistes espérant trouver un billet sur la rue. On croise Simon Rattle, Alfred Brendel dans l'assistance. L'atmosphère est survoltée, le choc culturel, total - et force est d'admettre que les sceptiques sont confondus.

Superbement dirigée par Antonio Pappano, le directeur musical de la maison, la partition de Turnage allie invention et style. Deux heures durant, il entraîne le spectateur dans un feu roulant, une succession rapide de tableaux relatant l'ascension et la chute de l'actrice et mannequin, de ses débuts dans un club d'effeuilleuses anonyme du Texas à sa disparition en 2007, en passant par son mariage farfelu à un milliardaire de 63 ans son aîné et ses frasques décadentes.

Le créateur de 50 ans et ses collaborateurs relèvent ainsi avec brio le défi de l'opéra contemporain, développant un langage musical adapté aux exigences du théâtre, sans renier pour autant sa force expressive propre. Bien au-delà d'un anti-américanisme primaire - l'écueil était bien réel -, l'oeuvre interpelle autant par l'humanité touchante de ses personnages que par le portrait au vitriol qu'elle dresse d'une société qui semble avoir perdu tout repère et dont Anna Nicole Smith, finalement, est à la fois une victime consentante et une violente métaphore.

Gerald Finley en Howard K. Stern

Habitué des grandes scènes d'opéra, Gerald Finley retrouvait Londres pour interpréter le rôle de l'avocat Howard K. Stern, l'ami et agent de Smith dépeint comme le gros méchant de l'histoire. Une expérience qu'il qualifie d'enrichissante: «Travailler avec Mark Anthony est toujours un vrai plaisir, et le faire dans pareil contexte a été un privilège. Il est stimulant pour un chanteur de participer à une première mondiale. Dans ce cas-ci, le sujet était certes explosif, même si la pièce n'émet pas de jugement sur la vie d'Anna Nicole Smith. Plutôt, elle lui confère une certaine grandeur tragique. Si on regarde de plus près, on réalise qu'Anna Nicole a beaucoup en commun avec Violetta, Tosca, Semele et d'autres héroïnes de l'opéra. Elle n'a pas eu la partie facile.» Il sera Don Giovanni au Festival de Salzbourg cet été, sous la baguette de Yannick Nézet-Séguin. Les antihéros semblent lui coller à la peau.