Étant donné que Salomé fait moins de deux heures et qu'on en sort un peu avant 22h, l'Opéra de Montréal fait commencer le spectacle un peu avant 20h, sans pour qu'il soit dit que l'opéra de Richard Strauss peut durer effectivement deux pleines heures. Pendant que les spectateurs prennent leur place, le rideau déjà levé découvre la scène occupée par des figurants qui s'y promènent. L'obscurité gagne bientôt toute la salle et Yannick Nézet-Séguin se glisse discrètement dans la fosse et commence à aiguillonner «son» Orchestre Métropolitain augmenté aux proportions straussiennes de 85 musiciens.

Le décor est unique, moderne et très dépouillé. À gauche, une grande ouverture circulaire d'où vient une lumière : avec un peu d'imagination, on comprend qu'il s'agit de l'intérieur du palais d'Hérode, un soir de fête. Au centre du plateau, un cercle lumineux où se déroulera la plus grande partie de l'action. Au fond, une masse noire qui ressemble à un gigantesque disque compact, qui pourrait être un four, ou un coffre-fort de banque, mais qui est effectivement la citerne où Hérode a emprisonné le prophète Jean-Baptiste, appelé ici Jochanaan.

Bizarre mais défendable, cette scénographie. De toute façon, elle est éclipsée par le mouvement scénique ininterrompu et extrêmement vivant, mouvement qui appelle cependant une sérieuse réserve. À la toute fin, la partition indique que les soldats écrasent Salomé sous leurs boucliers. Ici un soldat se dirige gauchement vers Salomé avec son épée et, lorsqu'il va la frapper, la scène est plongée dans le noir. La synchronisation n'y était d'ailleurs pas hier soir...

La soprano allemande Nicola Beller Carbone est une Salomé très vraisemblable : jeune et belle, jouant pleinement de ses charmes, dansant à merveille, capricieuse comme une enfant (ce qu'elle est, en fait), vociférant au bout de sa voix pour obtenir ce qu'elle veut, ce qu'elle veut étant la tête du prophète, devenue un jouet entre ses mains et...entre ses jambes. Un seul regret : on l'a affublée de petits costumes blancs d'écolière qui ne lui vont absolument pas.

Salomé n'est pas seule en scène. Se chamaillant dès son entrée en chaises à porteurs (!), le couple formé par sa mère Hérodiade, appelée ici Herodias, et son beau-père Hérode Antipas, ici Herodes, est, conformément au texte, tellement vulgaire qu'il en est comique à la fin. Surtout Hérode, dont John Mac Master réussit une composition géniale : gros et balourd dans son costume ridicule, «dansant» sur son fauteuil en même temps que Salomé, et gonflant son ténor aux limites imposées par la partition.

On souhaiterait pour Hérodiade un accoutrement dans le ton de celui du mari. Dans sa robe noire trop simple, Judith Forst passe un peu au second plan. Elle compense par des ricanements toujours à propos et un mezzo aux retentissants effets de poitrine.

Venant le plus souvent du fond de la citerne, la voix du baryton britannique Robert Hayward est solide, mais ce Jochanaan n'est pas le plus impressionnant qu'on ait vu ici. Retenu par deux chaînes, il dit à Salomé, à un moment donné, «Fille de Sodome, n'approche pas!». Or, à ce moment précis, Salomé est immobile et c'est Jochanaan qui s'approche d'elle! En passant, il faudrait que l'OdM fasse un choix : on lit «Jochanaan» dans le programme et «Jokanaan» sur les surtitres. Il est vrai que les deux formules reviennent dans les éditions et dans les enregistrements.

Chez les petits rôles, mention au claironnant ténor de Roger Honeywell. Mention aussi aux éclairages recherchés.

Dans la fosse, un Nézet-Séguin très inspiré et un OM dans sa meilleure forme complètent le spectacle avec toute la puissance souhaitée, avec subtilité aussi, sans jamais nuire aux voix. Quand Hérode dit qu'il entend siffler le vent, on entend effectivement le vent siffler dans l'orchestre!

SALOMÉ, drame musical en un acte, livret allemand de Hedwig Lachmann d'après la tragédie française Salomé d'Oscar Wilde, musique de Richard Strauss (1905).

Production : Opéra de Montréal. Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts. Première hier soir. Autres représentations : 23, 26, 28 et 31 mars, 20h. Avec surtitres français et anglais.

Distribution (rôles principaux) :

Salomé : Nicola Beller Carbone, soprano

Herodes (Hérode Antipas) : John Mac Master, ténor

Herodias (Hérodiade) : Judith Forst, mezzo-soprano

Jochanaan (Jean-Baptiste) : Robert Hayward, baryton

Narraboth : Roger Honeywell, ténor

Le Page : Chantal Denis, mezzo-soprano

***

Mise en scène et chorégraphie : Sean Curan

Décors et costumes : Bruno Schwengl

Éclairages : Paul Palazzo

Orchestre Métropolitain

Direction musicale : Yannick Nézet-Séguin