Evgueny Sudbin jouait pour la troisième fois hier soir à Pro Musica. Sans doute à cause d'autres concerts à la même heure, je ne l'avais jamais entendu. Pour des raisons qui m'échappent aussi, je n'avais jamais eu l'occasion d'entendre ses enregistrements.

Tout ce que je sais de lui, c'est donc ce que j'ai entendu hier soir. Je dois dire que ce tout se ramène à peu de chose. Dans le même souffle, compte tenu de la réputation dont jouit le pianiste russe de 31 ans, je refuse de considérer ce jugement comme définitif et veux bien, comme on dit, lui donner «une autre chance».

Car il était clair, dès les premières mesures du Haydn, que le visiteur n'avait pas précisément le goût de jouer du piano ce soir-là. La chose est courante chez les «performeurs»; la plupart du temps, ceux-ci ne le laissent tout simplement pas voir... Peut-être M. Sudbin fut-il déçu de se retrouver devant une salle si peu remplie pour sa troisième visite ici. Il n'a d'ailleurs pas donné de rappel, malgré l'ovation des auditeurs debout.

Donc, une sonate de Haydn pour commencer. Mais pas des plus intéressantes, et avec un menuet en guise de mouvement lent. Le texte contient beaucoup d'ornements, que le pianiste exécute correctement, mais sans y mettre cette volupté tactile qui leur donnerait vie. Il fait cependant toutes les reprises sans exception, doublant ainsi la durée de toute la sonate; il fait même une petite cadence sur un point d'orgue à la dernière reprise.

Quatre préludes de Chostakovitch puisés aux 24 de l'op. 34 forment un ensemble trop court pour laisser quelque impression. Le pianiste traverse les troisième et quatrième Ballades de Chopin comme un solide candidat de concours et y glisse juste ce qu'il faut de rubato pour paraître «inspiré». Les 10 minutes de Harmonies du soir constituent une bien mince contribution au bicentenaire Liszt. L'accordeur a visité le piano à l'entracte, il en a visiblement retouché les couleurs, mais il a oublié quelques notes au suraigu.

M. Sudbin avait gardé pour la fin le triptyque Gaspard de la Nuit, de Ravel. Les notes n'étaient pas toutes exactement à leur place, les dynamiques non plus. Or, la musique de Ravel est une musique d'absolue précision. Par-dessus tout, ces trois tableaux doivent créer un climat d'envoûtement total. En ce qui me concerne, je n'ai absolument rien ressenti.

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EVGUENY SUDBIN, pianiste. Hier soir, salle Maisonneuve de la Place des Arts. Présentation: Société Pro Musica.

Programme:

Sonate no 47, en si mineur, Hob. XVI:32 (1776) - Haydn

Préludes op. 34 nos 2, 6, 17 et 24 (1933) - Chostakovitch

Ballade no 3, en la bémol majeur, op. 47 (1841); Ballade no 4, en fa mineur, op. 52 (1842) - Chopin

Harmonies du soir, no 11 des Études d'exécution transcendante, S. 139 (1851) - Liszt

Gaspard de la Nuit (1908) - Ravel