La date du 11 septembre 2001 restera à jamais identifiée à l'une des pires tragédies qui aient frappé l'humanité. Dans ce «vase clos» qu'est le monde musical, le 11 septembre 2011, une décennie plus tard, correspond à la visite de deux quatuors à cordes célèbres et à autant de débuts : dans l'après-midi, le Tokyo ouvrait la 120e saison du Ladies' Morning Musical Club et, en soirée, le Borodine inaugurait la «configuration musique de chambre» de la nouvelle salle de la Place des Arts.

Les deux formations ont connu plusieurs changements d'effectifs depuis leur création. Ainsi, des quatre Japonais qui fondèrent le Tokyo en 1969, il n'en reste qu'un : l'altiste Kazuhide Isomura. Le seul autre Japonais du groupe actuel, le second-violon, en remplaça un autre (ou plutôt une autre, car c'était une femme) en 1974. Le Tokyo entendu dimanche existe comme tel depuis 2002, l'année où le pupitre de premier-violon passa au Canadien Martin Beaver.

Quant au Borodine entendu dimanche, il diffère entièrement de ce qu'il était à la création en 1946. En poste depuis 1974, le second-violon, Andreï Abramenkov, était jusqu'à récemment le plus ancien membre, mais le concert de dimanche découvrait un autre musicien à sa place. Les pupitres d'alto et de violoncelle ont été tenus jusqu'à ces dernières années par les membres fondateurs, Dimitri Chébaline et Valentin Berlinsky, respectivement, alors que le poste de premier-violon a connu trois titulaires. Ce fut d'abord Rostislav Dubinsky, qui l'occupa pendant 30 ans (il quitta l'URSS en 1976 avec sa femme, la pianiste Luba Edlina, et leur ami, le violoncelliste Yuli Turovsky, pour former le Trio Borodine). Suivit, Mikhaïl Kopelman, qui demeura 20 ans au Borodine avant de passer au Tokyo où il resta six ans (coïncidence, entre deux Canadiens : Peter Oundjian et Beaver déjà nommé). L'actuel premier-violon, Ruben Aharonian, est là depuis 1996. Nos mélomanes d'un certain âge se rappelleront qu'il remporta en 1972 le premier prix de l'ancien Concours international de Montréal (son nom était alors orthographié «Agaronian»).

La journée de dimanche nous fit passer d'un quatuor de Beethoven à un autre : de l'opus 131 du Tokyo à l'opus 132 du Borodine. Mais c'est bien le seul point commun à signaler entre les deux événements. Tout d'abord, sur le plan acoustique, il s'agit de deux expériences totalement différentes. Pollack, où jouait le Tokyo, nous est familier depuis fort longtemps : la salle de 600 places sonne parfaitement bien et n'offre plus de surprise.

Par contre, la nouvelle salle de la PdA a subi de nombreux ajustements acoustiques depuis son ouverture, mercredi dernier, et l'acousticien Tateo Nakajima, présent au concert, indique qu'il y en aura encore. Dans la configuration «intime» alors dévoilée, les neuf réflecteurs acoustiques surplombant la salle sont abaissés au niveau de la deuxième des trois galeries et l'auditoire prend place dans les sièges du choeur, derrière la scène, et sur une partie de celle-ci, tout près des musiciens. Dimanche, environ 320 personnes ont ainsi écouté le Borodine. Il y avait place pour davantage. La salle elle-même reste vide, bien qu'il n'y ait pas de rideau pour la séparer de la nouvelle aire d'écoute. Le son n'y est pas nécessairement meilleur qu'à Pollack : il est simplement différent, complètement nouveau, présent comme s'il était amplifié, alors qu'il ne l'est absolument pas.

Concernant les interprétations, résumons. Le Haydn du Tokyo s'ouvre sur de petites imprécisions de jeu qui, curieusement, ne sont pas corrigées à la reprise de 62 mesures. Les deux mouvements marqués «presto» sont cependant irréprochables. Le Szymanowski est un choix original et les musiciens en soulignent bien le côté tourmenté, avec son suraigu prononcé du premier-violon. Le Beethoven contient des temps morts et, curieusement, des passages techniquement imparfaits mais néanmoins habités d'une réelle pensée.

Hélas! Il faut bien reconnaître que, sur les plans technique et expressif, le Tokyo a été complètement éclipsé par le Borodine. Malgré des changements d'effectifs encore récents, l'ensemble russe a retrouvé, comme par miracle, la cohésion d'une formation ayant une longue expérience commune. En fait, ce que j'ai entendu dimanche soir rejoignait ce qu'une des précédentes formations du Borodine nous avait donné en 1985 dans le même programme exactement, c'est-à-dire le 15e Quatuor de Beethoven et le 15e Quatuor de Chostakovitch, y compris l'obscurité dans ce dernier cas.

Dans le Beethoven, le Chant de reconnaissance qui forme le mouvement central possédait la force d'une prière. Le Chostakovitch - six Adagios joués sans interruption et totalisant 40 minutes - est d'une écriture et d'une exécution relativement simples. Tout ici est une question d'atmosphère. J'avais parlé en 1985 d'«expérience spirituelle hors du temps». Un quart de siècle plus tard, je ne trouve pas d'autres mots.

QUATUOR À CORDES TOKYO - Martin Beaver et Kikuei Ikeda (violons), Kazuhide Isomura (alto) et Clive Greensmith (violoncelle). Dimanche après-midi, Pollack Hall de l'Université McGill. Présentation: Ladies' Morning Musical Club.

Programme:

Quatuor no 81, en sol majeur, op. 77 no 1, Hob. III :81 (1799) - Haydn

Quatuor no 1, en do majeur, op. 37 (1917) - Szymanowski

Quatuor no 14, en do dièse mineur, op. 131 (1826) - Beethoven

QUATUOR À CORDES BORODINE - Ruben Aharonian et Sergueï Lomovsky (violons), Igor Naidin (alto) et Vladimir Balchine (violoncelle). Dimanche soir, Maison symphonique de la Place des Arts. Présentation : Orchestre Symphonique de Montréal.

Programme :

Quatuor no 15, en la mineur op. 132 (1823-25) - Beethoven

Quatuor no 15, en mi bémol mineur, op. 144 (1974) - Chostakovitch