La Société de musique contemporaine du Québec ouvrait sa 46e saison trois jours après la mort de l'un de ses héroïques fondateurs, Maryvonne Kendergi. Non seulement cette disparition fut-elle complètement passée sous silence, mais on trouva le temps d'annoncer deux fois de suite, et par le truchement de deux voix différentes, que le concert (ou plutôt le «spectacle») était donné à la mémoire d'Albert Devito qui, décédé le 19 juin, enseigna le trombone à l'UdM et joua à la SMCQ où il était «délégué des musiciens». Au surplus, une page complète du programme lui était consacrée. Mais pas le moindre mot sur celle qui fut peut-être la plus énergique pionnière à l'origine de ladite SMCQ. Il faut conclure que c'est cela, la gratitude humaine...

Comme on le sait, la SMCQ a centré sa 46e saison sur la compositrice Ana Sokolovic, née à Belgrade en 1968 et devenue Montréalaise il y a 20 ans. Il s'agit d'une troisième saison-hommage, après celles de Claude Vivier et de Gilles Tremblay.

Le programme ne comprend aucune création, uniquement des reprises, et pour des raisons fort simples. Il débute par ce Jeu des portraits de 1996 où la compositrice nouvellement arrivée ici saluait successivement quatre compositeurs de son pays d'adoption, soit Rodolphe Mathieu (le père du fameux André), Jean Papineau-Couture, Serge Garant et Claude Vivier, et se poursuit avec une pièce de chacun d'eux. Des quatre Portraits proposés, le plus intéressant est le dernier, aux échos de gamelan évocateurs de l'univers sonore de Vivier.

La partie du programme qui donne la parole aux quatre compositeurs s'ouvre sur les Trois Préludes du père Mathieu. Dutoit en dirigea une orchestration à l'OSM en 1984. Cette fois, Louise-Andrée Baril joue avec affection la version originale, pour piano, de ces pièces de 1912-15 forcément proches de Debussy.

Le Quintette de Garant est pour flûte (et flûte-alto), hautbois (et cor-anglais), piano, violoncelle et percussions diverses (vibraphone, marimba et gongs). Créé à Vancouver en 1978, il fut joué à la SMCQ en 1979 et au NEM en 1993, et par l'Ensemble Lontano, de Londres, présenté ici par la SMCQ en 1985. Je l'ai donc entendu au moins trois fois. Mais jamais il ne m'a paru aussi ennuyeux: 14 minutes d'immobilisme desséchant, à la Webern, où seuls les gros accords de piano plaqués ici et là empêchent de tomber de sommeil.

Les cinq mêmes musiciens reviennent après l'entracte pour Greeting Music de Vivier, à la différence qu'ils entrent un à un, suivis en dernier lieu du chef, Walter Boudreau; à la fin, tous sortiront également un à un. Vivier demande à ses interprètes d'éviter toute expression de visage, de s'en tenir à un minimum de gestes, en somme de «devenir des zombies» (sic). Je n'ai pas vu la partition, mais je suis sûr que la violoncelliste Isabelle Bozzini n'a pas improvisé ces «Ah! ah! ah!» lancés vers l'auditoire.   

Étrange, ce mélange de cérémonial oriental et de musique un peu perverse où Vivier réapparaît tel qu'il était. Boudreau et d'autres m'ont souvent reproché mon «refus» de Vivier. J'y suis venu de moi-même et, aujourd'hui, je crois être convaincu de sa troublante importance. Du programme entier, les 17 minutes de Greeting Music furent les meilleures, avec celles de Sokolovic évoquant son monde.   

Aria de Papineau-Couture pâlit à côté. Celui qui fut également à l'origine de la SMCQ ne se doutait sans doute pas que cette aria pour violon seul allait devenir... un aria pour l'auditeur. Là encore, je n'ai pas vu la partition, mais il semble peu probable que le brave Papineau-Couture ait souhaité un résultat aussi gauche.   

Choix tout à fait normal, on termine avec une pièce de Mme Sokolovic, présente dans l'auditoire où s'ajoute une délégation d'enfants venus d'un camp musical. Géométrie sentimentale, qui réunit 14 musiciens et dure 16 minutes, est foncièrement minimaliste mais offre, dans le rythme et la couleur, une originalité habituellement absente du genre.

SOCIÉTÉ DE MUSIQUE CONTEMPORAINE DU QUÉBEC. Dir. Walter Boudreau. Salle Pierre-Mercure, vendredi soir.

Programme: Jeu des portraits (1996) - Ana Sokolovic; Trois Préludes, pour piano (1912-15) - Rodolphe Mathieu; Quintette (1978) - Serge Garant; Greeting Music (1978) - Claude Vivier; Aria, pour violon (1946) - Jean Papineau-Couture; Géométrie sentimentale (1997) - Ana Sokolovic.