On peut ignorer les 23 premières minutes du concert. Kent Nagano passe 13 minutes à bavarder avec l'auditoire -«dans les deux langues», comme on dit- mais sans expliquer quel lien il a vu entre les deux Notations de Boulez et l'organum médiéval de Pérotin qu'il a glissé entre ces deux pages modernes. La partie Boulez-Pérotin-Boulez fait en tout 10 minutes et personne, je pense, ne s'en plaindra.

Ces «péchés de jeunesse» pianistiques orchestrés par Boulez plus de 30 ans après leur composition ne sont pas une nouveauté ici. Dutoit les dirigea à l'OSM dès 1983 et Hauser les inscrivit à McGill en mars dernier. Ce ne sont pas des pages importantes, loin de là, quoique la nouvelle acoustique en souligne les couleurs vives et les dissonances accusées.

À cet égard, les ajustements du son semblent se poursuivre avec sérieux à la nouvelle salle. Chose certaine, stridence et surcharge déplorées jeudi dernier à la corbeille avaient disparu mardi soir. Reste à savoir si la réverbération du piano a été éliminée. Ce qu'on saura mercredi soir, au concert de l'Orchestre Métropolitain et son soliste Jan Lisiecki.

Peu à dire sur la partie vocale de cet étrange début de concert. La petite polyphonie médiévale est chantée par un sextuor vocal posté au-dessus de l'orchestre et accompagné d'une sorte de vielle à roue suédoise appelée nyckelharpa. Pas un mot dans le programme là-dessus. Il est vrai que la chose a peu d'importance...

Gidon Kremer, à qui l'OSM doit cet auditoire considérable, paraît ensuite, avec son violon et sa partition, tout comme la dernière fois qu'il joua ici le Concerto de Tchaïkovsky, en 1998. Le violoniste de 67 ans traverse péniblement le premier mouvement: passages savonnés ou manquant de justesse, coquetteries de phrasé, sonorité presque méconnaissable. Kremer se ressaisit au mouvement lent, avec l'air de dire «Je n'ai pas le droit de leur faire ça!». Soudain, lyrisme et sonorité rappellent ceux d'autrefois et le finale se déroule à peu près sans fautes. Comme en 1998, et dans la vraie tradition russe, Kremer joue le finale sans les coupures habituelles.

Nagano et l'OSM fournissent au soliste un accompagnement exemplaire. Après l'entracte, ils nous font même oublier qu'il était là. L'OSM donna la 15e et dernière Symphonie de Chostakovitch avec Decker dès 1975 (trois ans après la création!), la reprit avec Dutoit en 1990 et en 1992 et l'enregistra avec lui, et la reprit de nouveau avec Claus Peter Flor en 2006. De plus, on l'entendit en mars 2010 par le même tandem Gergiev-Mariinsky qui nous revient samedi soir pour Tchaïkovsky.

Les citations de Wagner et surtout de Rossini -rien de moins que l'Ouverture de Guillaume Tell!- dont Chostakovitch parsème sa partition m'ont toujours semblé oiseuses. Il se peut qu'il y ait là un «message» de la part du compositeur proche de sa fin. Dans la vision de Nagano, qui totalise 44 minutes, ces emprunts s'intègrent mieux que d'habitude à un ensemble où l'accent est mis sur le tragique et le désespoir, pour ne pas dire l'agonie.

Avec ce Chostakovitch, Nagano nous donne une interprétation profonde et réfléchie comme on souhaiterait en recevoir plus souvent. L'orchestre augmenté colle parfaitement à ses intentions et les nombreux solos méritent tous une mention, principalement le violoncelle dans le sombre Adagio.

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ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE MONTRÉAL. Chef d'orchestre : Kent Nagano. Soliste: Gidon Kremer, violoniste. Mardi soir, Maison symphonique de Montréal, Place des Arts. Reprise mercredi soir, 20h. Séries «Grands Concerts».

Programme:

Notation I (1945-1978) -Boulez

Viderunt omnes (12e  scl.) -Pérotin (pour petit ensemble choral)

Notation IV (1945-1978) - Boulez

Concerto pour violon et orchestre en ré majeur, op. 35 (1878) -Tchaïkovsky

Symphonie no 15, en la majeur, op. 141 (1971-72) -Chostakovitch