Serhiy Salov a incontestablement mûri comme interprète depuis l'obtention en 2004 du premier prix au Concours international de piano de Montréal. À 32 ans cette année, le grand Ukrainien se devait de dépasser le stade champion-de-compétition. Sa spectaculaire virtuosité, non exempte d'une certaine vulgarité, avait impressionné jury et grand public il y a sept ans. Nous étions une minorité à ne pas endosser ce choix. Et nous avions raison. Nous reconnaissions le technicien, oui, mais attendions le musicien. Nous n'avons pas attendu en vain. Aujourd'hui, Salov est capable de raffinement et de profondeur.

Consacré à Liszt, pour le bicentenaire, le récital de jeudi l'a saisi dans une sorte de deuxième étape de son développement. Salov n'est pas encore ce que j'appellerais un grand pianiste, comme l'est, par exemple, Alfred Brendel. Question d'âge, sans doute. Mais rien ne lui interdit de le devenir. Il possède en abondance les moyens techniques requis. Il lui reste à travailler dans le détail, à transcender tout ce qui se passe sous ses doigts, bref à convaincre totalement, à chaque instant. Plusieurs parviennent à cet absolu. Pourquoi pas lui?

De la colossale Sonate en si mineur, sommet du répertoire et sommet du programme, Salov a donné une interprétation étonnante. Trente minutes qui, à la fin, m'ont tiré les larmes. Il y avait là du souffle, une pensée, une clarté de jeu où le drame circulait d'une main à l'autre. Oui, j'écoutais alors un grand pianiste. C'est le reste du programme qui ne m'a pas convaincu.

Je ne parle pas des quelques fautes de frappe : dans le présent contexte, elles ne me gênaient pas. Salov a ouvert son programme avec le Liebestod d'après Tristan und Isolde. Est-ce la pièce? Est-ce l'exécution? Chose certaine, cela ne passait pas. Le quasi-miracle de la Sonate en si mineur suivit. Après l'entracte, Salov sauta au Liszt clinquant et s'y maintint au premier degré, celui de la simple virtuosité, alors qu'il est possible d'y faire un peu de musique. Et quelle drôle d'idée de choisir un Brahms comme rappel, fût-ce l'Intermezzo op. 117 no 2.

Dieu merci, il y avait eu la Sonate en si mineur. Salov n'aurait joué que cela et la soirée était complète.

On remarquait dans l'assistance plusieurs personnalités de notre monde musical, notamment Mme Winifred Arminjon, une descendante de Liszt.

SERHIY SALOV, pianiste. Jeudi soir, Chapelle historique du Bon-Pasteur.

Programme consacré à Franz Liszt (1811-1886):

Isoldens Liebestod, S. 447 (1868)

Sonate en si mineur, S. 178 (1852-53)

Rhapsodie hongroise no 12, en do dièse mineur, S. 244 (1853)

Six Études d'après Paganini, S. 141 (1851)

Méphisto-Valse no 1, S. 514 (1860)