L'immense popularité d'Il Trovatore tient à l'inépuisable invention mélodique qu'y déploie un jeune Verdi au sommet de sa forme et au nombre record de grands airs qu'il y enchaîne. Un tel «hit» permet à l'Opéra de Montréal de faire salle archi-comble sans afficher de grandes vedettes et d'offrir un spectacle qui, bien qu'imparfait, de fabrication entièrement locale et peu coûteux, reste tout à fait satisfaisant.
Des sifflets copieux, voire répétés avec agressivité, se sont mêlés à l'ovation debout et prolongée à la première, samedi soir. Pour moi, cette marque de désapprobation n'a pas plus d'importance que ce «Brava!» qu'un «connaisseur» a cru bon lancer au beau milieu du grand air d'Azucena.
Les décors, réduits à leur plus simple expression ou vaguement suggérés par de grands panneaux abstraits, proviennent des entrepôts de l'OdM et forment un ensemble un peu bizarre qui, au fond, n'est pas plus bête que les élucubrations du genre Eurotrash ou Lepage-la-machine. Les costumes, tous d'époque et tous corrects, portent aussi la signature OdM.
Trois noms sont à l'origine de cette très honnête réussite : le chef invité Francesco Maria Colombo, qui pousse l'OSM à une participation continuellement agissante et marquée d'étonnantes subtilités; le jeune metteur en scène Oriol Tomas qui, bien que sans grande expérience scénique, donne un sens à cet abracadabrant scénario et fait bouger le plateau avec vérité, duels à l'épée et processions aux cierges inclus; enfin, et surtout, la chanteuse Hiromi Omura qui, sans posséder le grand soprano dramatique de Leonora, utilise avec autant d'intelligence que de sensibilité ses ressources limitées de soprano lyrique et sa délicate présence scénique. Butterfly ici en 2008, la petite Japonaise n'est ni Milanov, ni Callas, ni Tebaldi. Mais je m'attendais à bien pire.
La meilleure voix de la soirée reste néanmoins celle, puissante et articulée, du Vénézuélien Ernesto Morillo, qui confère un relief inhabituel au récit d'entrée du capitaine Ferrando, ponctué par la réaction très vivante du choeur d'hommes qui l'entoure. Très bonne voix aussi chez Gregory Dahl, en Comte di Luna qu'on voudrait un peu plus perfide cependant. La mezzo italienne Laura Brioli est une Azucena correcte, sans plus. Le Britannique annoncé en Manrico, le rival du Comte, est remplacé par le Coréen Dongwon Shin, ténor trapu qu'on ne souhaite ni revoir, ni réentendre, mais qui, dans les circonstances, fait l'affaire. Il est vrai que le pauvre homme a peu de chance. Lorsque, redoutant le pire, il lance un «Qu'as-tu fait?» à Leonora, les surtitres refusent de répondre et s'éteignent, comme par pudeur.
IL TROVATORE, opéra en quatre actes (huit tableaux), livret de Salvatore Cammarano et Leone Emanuele Bardare d'après le drame El Trovador d'Antonio Garcia Gutiérrez de la Vega, musique de Giuseppe Verdi (1853).
Production : Opéra de Montréal. Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts. Première samedi soir. Autres représentations : 24, 26 et 28 janvier, 19 h 30. Avec surtitres français et anglais.
Distribution :
Manrico, le trouvère : Dongwon Shin, ténor
Leonora : Hiromi Omura, soprano
Le Comte di Luna : Gregory Dahl, baryton
Azucena : Laura Brioli, mezzo-soprano
Ferrando : Ernesto Morillo, basse
Inez : Karine Boucher, mezzo-soprano
Ruiz : Riccardo Iannello, ténor
Un messager : Gaétan Sauvage, ténor
Un vieux gitan : Jean-Michel Richer, baryton
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Mise en scène : Oriol Tomas
Décors et costumes : Opéra de Montréal
Éclairages : Anne-Catherine Simard-Deraspe
Chorégraphie : Lucie Vigneault
Choeur de l'Opéra de Montréal (dir. Claude Webster) et Orchestre Symphonique de Montréal