Quand la soprano Deborah Voigt est allée chercher Robert Lepage côté jardin pour qu'il vienne à son tour saluer le public du Metropolitan Opera un peu avant minuit hier soir, le metteur en scène a été accueilli par des huées plus audibles qu'à la fin des trois opéras précédents du Ring de Richard Wagner, mais aussitôt noyées par des bravos plus nourris. Même réaction peu après quand Lepage et son équipe de concepteurs ont fait quelques pas vers l'avant de la scène à la suite des chanteurs et du chef Fabio Luisi.

Était-ce le fait des abonnés les plus conservateurs du Met qui profitaient de la dernière occasion de manifester leur dissidence après le dernier chapitre du Ring, Le crépuscule des dieux (Götterdämmerung)? Sans doute. Mais peut-être y avait-il aussi parmi les chahuteurs des gens qui, sans parti pris idéologique préalable, ne sont pas convaincus que la manière Lepage soit indiquée pour raconter cette saga démesurée dans laquelle les dieux fraient avec les humains.

Des gens qui trouvent que la machine de scène conçue par l'équipe Lepage distrait du propos de Wagner. Qui se demandent pourquoi les Gibichung, si humains soient-ils, ont des costumes plus «modernes» que les autres personnages du Ring. Qui ne comprennent pas pourquoi Götterdämmerung a un côté plus naturaliste, ou moins symbolique, que les opéras précédents (la «véritable» eau du Rhin, projetée sur les planches, par opposition à celle plus abstraite de L'or du Rhin, ou encore le cheval Grane, grandeur nature, qui tranche avec ceux de la chevauchée des Walkyries suggérés par les planches à bascule du décor).

Pourtant, cette machine de scène ne s'était jamais déployée comme elle l'a fait dans Götterdämmerung, avec un naturel et une fluidité qui forcent l'admiration. Rien que dans le prologue et le premier acte - qui duraient tout de même deux bonnes heures - on a arrêté de compter les changements de décor qui nous ont donné quelques-uns des tableaux les plus saisissants de tout ce Ring signé Lepage. Je pense à la toute première scène dans laquelle les trois Nornes tissent la corde du destin universel avec des fils qui pendent des 24 planches du décor, ou à l'arrivée au palais des Gibichung de Siegfried et Grane sur une barque voguant sur le Rhin. Quant à l'impossible scène finale où tout se précipite - Brünnhilde et Grane qui se dirigent vers le bûcher où brûle la dépouille de Siegfried, Hagen qui se noie en voulant reprendre l'anneau d'or aux filles du Rhin, le Walhalla qui s'embrase et les statues des dieux qui explosent littéralement - elle a été menée rondement.

La distribution a été à la hauteur, de Deborah Voigt, vibrante Brünnhilde, à Hans-Peter König, solide Hagen, en passant par Waltraud Meier (Waltraute, la Walkyrie) et Eric Owens (le nain Alberich) qui ont été acclamés dans des rôles secondaires. Le ténor américain Jay Hunter Morris a bien rendu le côté grand dadais de Siegfried mais sa performance vocale était moins convaincante que dans l'opéra Siegfried où il avait pourtant remplacé Gary Lehman au pied levé : quand l'orchestre haussait le ton, on avait parfois peine à l'entendre. Par contre, le choeur qui intervenait pour la toute première fois de la Tétralogie a créé une très forte impression au deuxième acte. En l'absence de James Levine, le maestro Fabio Luisi n'a pas fait de coup d'éclat, mais le public du Met l'a acclamé au début des deuxième et troisième actes et à la toute fin quand il est venu saluer.

Le Metropolitan Opera présentera le cycle complet du Ring trois fois du 7 avril au 12 mai. Il sera repris en 2013.

Götterdämmerung sera diffusé en HD au cinéma, en direct du Metropolitan Opera, dans les salles Cinéplex le samedi 11 février à midi. Cet opéra dure un peu moins de six heures, entractes compris.