L'affiche semblait bien téméraire: l'Orchestre Métropolitain imposait à son auditoire l'un des concertos pour violon les plus rébarbatifs du répertoire tout entier, celui du dodécaphoniste Alban Berg, et en confiait la responsabilité à son violon-solo, la jeune Yukari Cousineau, plutôt qu'à quelque soliste étranger d'envergure, comme cela se fait habituellement.

À l'ovation de la salle presque comble, je joins la mienne : le résultat fut plus que remarquable. Le public a suivi dans un silence étonnant cette musique aussi difficile à écouter qu'à jouer et, surtout, Yukari Cousineau en a donné une lecture extrêmement soignée, souvent même convaincante, appuyée sur un orchestre dont le chef invité Julian Kuerti a obtenu à chaque instant le maximum d'engagement.

Berg a sous-titré son concerto Dem Andenken eines Engels, c'est-à-dire À la mémoire d'un ange. L'«ange» en question était la jeune actrice Manon Gropius, fille de la veuve de Mahler et de l'architecte Walter Gropius, morte à 18 ans, et que Berg avait aimée. L'oeuvre qu'il composa dans ce contexte est tourmentée, mais un certain lyrisme s'y manifeste à travers la sécheresse du langage dodécaphonique. Le violon y trace son chemin presque sans répit au milieu d'un orchestre considérable que dominent cuivres, bois et percussions, et c'est le tableau que nous ont offert Yukari Cousineau et l'orchestre aiguillonné par Julian Kuerti.

L'exécution se situait au milieu de cinq, en autant de jours, dont quatre en périphérie. Une certaine prudence chez la jeune soliste, chose bien compréhensible, l'a empêchée de s'engager plus entièrement encore dans l'interprétation. Ainsi, on aurait souhaité davantage d'introspection aux endroits où Berg écrit «tranquillo». Mais on ne saurait la tenir responsable des passages où le violon était couvert par l'orchestre chauffé à blanc. Pour l'ensemble, on peut parler de réussite. La partie de violon est ici d'une atroce difficulté et, à cet égard, Yukari Cousineau n'a jamais failli. Elle a joué avec justesse et exactitude tous les traits dont fourmille la partition : rapides descentes et montées, tenues au suraigu, sauts périlleux, trilles, trémolos, doubles cordes, appoggiatures et le reste.

L'OM avait déjà programmé le Concerto de Berg, une fois, il y a de cela fort longtemps : en 1989, avec Otto Armin comme soliste. L'OSM, bien sûr, l'a joué maintes fois : dès 1959, avec Christian Ferras, ensuite avec Pina Carmirelli, Pierre Amoyal, Gidon Kremer, Chantal Juillet, Frank Peter Zimmermann et, la dernière fois, l'an dernier, avec Viviane Hagner. Certaines de ces exécutions, notamment la dernière mentionnée, furent bien inférieures à celle de Yukari Cousineau!

Un mot d'histoire encore. Du Concerto de Berg, il existe trois enregistrements de Louis Krasner, qui le commanda et le créa le 19 avril 1936 à Barcelone: le premier de cette année-là (1er mai, Londres), le deuxième de 1938 (Stockholm) et le dernier de 1940 (Cleveland). Krasner y prend successivement 30, 25 et 23 minutes. Hier soir, Yukari Cousineau l'a traversé en 27 minutes. La partition indique 24 et le programme annonçait environ 25.

Comme début de concert, Julian Kuerti avait choisi, de Fidelio, non pas l'une des trois ouvertures Leonore associées à l'unique opéra de Beethoven, mais celle qui précéda la version finale de l'oeuvre. L'OM en offrit une solide lecture, malgré des cors imparfaits. La célèbre neuvième Symphonie de Schubert occupait l'après-entracte. Si la huitième Symphonie est l'Inachevée, la neuvième pourrait s'intituler l'Interminable. Elle fait habituellement une heure ou plus. En omettant une couple de reprises et en adoptant des tempi toujours allants, en pressant même vers la fin, Kuerti l'a bouclée en 53 minutes, sans sacrifier quoi que ce soit au niveau de l'exécution et de l'expression. On aura aussi noté qu'il dirigea son Schubert de mémoire, ce dont sont incapables certains de ses collègues.

ORCHESTRE MÉTROPOLITAIN. Chef invité: Julian Kuerti. Soliste : Yukari Cousineau, violoniste. Hier soir, Maison symphonique, Place des Arts.

Programme :

Ouverture de l'opéra Fidelio, op. 72 (1814) - Beethoven

Concerto pour violon et orchestre (Dem Andenken eines Engels) (1936) - Berg

Symphonie no 9, en do majeur, D. 944 (1826) - Schubert