Avant hier soir, Maria Joao Pires n'avait pas donné de concert à Montréal depuis 1988. C'est donc un grand retour pour la pianiste, cette fois sous la direction de Kent Nagano, avec qui elle a souvent travaillé en Europe. L'artiste souhaite aussi profiter de cette visite pour faire connaître un grand projet qui lui tient à coeur, Partitura, qui vise à utiliser la musique comme outil social.

Maria Joao Pires ne se souvient que vaguement de sa dernière visite à Montréal. Par contre, elle se souvient très bien de ses débuts avec l'OSM, il y a 30 ans, à cause d'une coïncidence: son premier petit-fils est né alors qu'elle était dans l'avion en direction de Montréal pour donner ce concert. C'était sous la direction de Charles Dutoit.

Cette fois, avec Kent Nagano, elle interprète le Concerto no 3 de Beethoven, qu'elle jouera aussi avec l'OSM à Carnegie Hall dans le cadre de la tournée américaine de l'orchestre qui approche à grands pas.

«J'aime beaucoup ce concerto, dit-elle. Il est intéressant parce qu'il marque le passage entre un Beethoven encore influencé par les classiques et un Beethoven qui affirme davantage sa personnalité.»

Donner un sens à la musique

La musicienne donnera également deux récitals, un à Montréal et un à Québec, avec un de ses anciens élèves, le jeune pianiste russe Pavel Kolesnikov, qu'elle qualifie d'extrêmement talentueux.

«Je fais souvent des récitals avec de jeunes pianistes, dit-elle. Cela s'inscrit dans mon projet Partitura, qui vise à faire prendre conscience aux jeunes musiciens qu'ils peuvent utiliser la musique comme un outil social et un art universel, sans frontières.»

«La musique classique appartient à tout le monde, dans toutes les couches sociales. C'est un outil d'entraide, de thérapie, d'espérance, de partage entre les cultures. Elle peut rassembler les gens en cette époque de grand déséquilibre.»

La pianiste se dit préoccupée depuis longtemps par l'injustice sociale et les inégalités.

«Très jeune, j'ai ressenti un certain inconfort au fait de jouer en public, et je me suis demandé pourquoi. J'ai compris, avec le temps, que c'était parce que je ne trouvais pas assez de sens à ne faire que cela avec la musique, c'est-à-dire jouer dans des salles où une grande partie des gens sont des privilégiés.»

Elle est persuadée que la musique peut changer la vie des gens.

«Nous, les musiciens, devons avoir un nouveau sens des responsabilités envers la société. Les jeunes musiciens ne doivent pas uniquement se concentrer sur leur propre carrière, leur propre gloire. Le projet Partitura est assez complexe et comprend plusieurs volets. Les participants prennent en charge un projet qui peut se dérouler dans des prisons, des orphelinats, des chorales d'enfants, des hôpitaux et des cliniques psychiatriques.»

«Maintenant que j'ai travaillé avec des enfants défavorisés, je vois que la musique peut les changer et faire une différence. Au bout de quelques mois, ils collaborent déjà mieux avec les autres, sont plus responsables, plus motivés, plus ouverts. Ils se sentent mieux.»

Année sabbatique

Ce projet, elle y pense et le développe depuis 20 ans, mais elle a fait face à bien des embûches. Après avoir démarré en Belgique il y a quatre ans, les activités de Partitura seront bientôt relogées en Suisse, où vit la pianiste. Tout cela lui laissera moins de temps pour se produire en public, elle qui donne de 70 à 80 concerts par an, à l'âge de 71 ans.

«Je suis fatiguée, car j'ai continué à jouer en plus d'enseigner et de développer ce projet. L'an prochain, je prends une sabbatique pour me consacrer complètement à Partitura et travailler un peu de nouveau répertoire. Par la suite, si je continue à donner des concerts, ce sera à un rythme moins élevé, parce que c'est Partitura qui me tient le plus à coeur.»

Profitons-en pour aller l'entendre pendant que c'est encore possible.

______________________________________________________________________________

Maria Joao Pires avec l'OSM, le 5 mars, 20 h; en récital avec Pavel Kolesnikov, le 6 mars, 14 h 30, Maison symphonique. En récital au Club musical de Québec le 7 mars, 20 h, précédé d'une causerie sur le projet Partitura à 18 h 50, Grand Théâtre de Québec.