Le rossignol des Andes ne chantera plus. La diva d'origine inca Yma Sumac est morte samedi d'un cancer à l'âge vénérable de 86 ans, entraînant avec elle le secret de ses origines...

Ultime témoin de la mode «exotica», cette soprano à l'extraordinaire registre vocal avait connu un succès monstre dans les années 50, avec ses chansons traditionnelles péruviennes passées à la moulinette kitsch. En 1950, son album Voice of the Xtabay s'était écoulé à plus de 500 000 exemplaires, lui ouvrant ainsi les portes d'Hollywood et de la célébrité nord-américaine.Personnage coloré (ses robes et ses bijoux auraient réveillé un mort) et excentrique, Yma Sumac a longtemps entretenu le mystère sur ses origines. On en savait très peu sur cette interprète recluse et excentrique qui aimait à cultiver les rumeurs les plus abracadabrantes sur sa propre histoire.

Certains avancent qu'elle avait des racines québécoises, et que son vrai nom était Amy Camus (Yma Sumac à l'envers). Mais la vérité est sans doute ailleurs. Jusqu'à preuve du contraire, Yma Sumac est née en septembre 1922, dans la communauté andine de Ichocan. De son vrai nom Zoila Augusta Emperatriz Chavarri del Castillo, la chanteuse se présentait comme descendante directe du dernier empereur inca Atahualpa. Autodidacte, elle affirmait avoir appris sa singulière technique vocale (gazouillis, grondements, notes flûtées) en mimant les toucans et les jaguars de son arrière-pays.

Passage au cinéma

En 1942, la jeune femme attire l'attention du compositeur péruvien Moises Vivanco, qui l'épouse et l'intègre à sa troupe folklorique avant de l'emmener aux États-Unis, où elle est découverte par les bonzes de Capitol. Pendant les années 50, Yma Sumac enfile les disques à succès (Xtabay, Mambo, Fuego del Ande) et apparaît dans une poignée de films hollywoodiens, dont Secret of the Incas où elle partage la vedette avec Charlton Heston. Son personnage de diva exotique dotée d'une voix unique (elle pouvait couvrir quatre octaves) fascine l'Amérique des années de l'après-guerre, qui s'ouvre sur le monde. «C'est un fantasme musical en technicolor», écrit alors un critique du Los Angeles Times, parlant de celle qu'on surnomme désormais «le rossignol des Andes».

Mais le fantasme s'estompe et Yma Sumac disparaît du radar. En 1971, la chanteuse tente un retour avec l'album Miracles, où elle s'accompagne d'un groupe rock psychédélique à la Deep Purple... En vain. L'Amérique est ailleurs. Ses apparitions ne seront ensuite qu'épisodiques, la dame se produisant ici et là dans des restaurants de Los Angeles. Dans les années 90, elle est redécouverte par de jeunes amateurs de culture lounge et psychotronique. Dans la foulée, les frères Coen la feront revivre sur la trame sonore du film The Big Lebowski.

À l'été 1997, Yma Sumac avait fait le trajet en voiture jusqu'à Montréal pour se produire au Spectrum dans le cadre du Festival de jazz. Cette improbable visite avait révélé une septuagénaire amoindrie, mais non moins subjuguante. «Elle poussait encore la note assez haut, se souvient André Ménard, du FIJM. Mais elle était devenue fragile. Au début du spectacle, elle s'est penchée pour parler à un spectateur, et elle n'a pas été capable de se relever. Il a fallu que son pianiste aille la décoincer. Il y a eu un malaise...»

À la fin du spectacle, la chanteuse avait fait monter son petit chien sur scène et dans ses bras... en demandant à la salle d'applaudir. La scène était surréaliste «Un peu plus et ça virait au freak show, avait écrit notre collègue Alain de Repentigny, dans sa critique du lendemain. Heureusement, le public n'était pas venu voir une bête de cirque, il était venu acclamer une survivante...»