Les planètes s'alignent pour le Quartier des spectacles. D'une part, Montréal veut marquer le coup avec des gestes beaux et durables. De l'autre, le réputé architecte français Paul Andreu, qui dessine le 2-22 Sainte-Catherine, avait besoin d'un retour aux sources après ses derniers projets grandioses.

Ce n'est pas un hasard si l'architecte Paul Andreu, qui vient de terminer l'Opéra de Pékin, un immense oeuf yin yang déposé sur l'eau telle une oasis culturelle, se retrouve à Montréal avec un petit édifice à l'est du Quartier des spectacles, censé faire contrepoids au pôle ouest et à la grande Place des festivals.

 

«Ce bâtiment, c'est peu de mètres carrés, c'est compliqué, mais ça peut être extrêmement significatif, affirme M. Andreu. Une grande ambition s'exprime à travers lui: comment aider ce quartier à se transformer pour la énième fois? C'est plus important que de faire un bâtiment cinq fois plus grand dans un truc déjà saturé d'icônes architecturales. Ça me plaît beaucoup.»

À 70 ans, le nouveau marié dit retrouver à Montréal ce dont rêve tout architecte: être au service de gens qui ont des besoins - les architectes d'Ædifica et la Société de développement Angus - et construire avec eux quelque chose qui serve: un édifice à vocation culturelle au coût de 16 millions de dollars.

«Dans un certain nombre de situations, on sent qu'il faut faire quelque chose qui ne servira peut-être pas mais qui épatera le bourgeois. C'est mieux de travailler pour des gens qui ont un désir et un vrai programme. Tout s'enclenche. Gros budget, petit budget, on finit toujours par s'arranger.»

Malgré son imposant curriculum - le musée maritime d'Osaka, le Centre des arts orientaux de Shanghai et plusieurs aéroports, dont Roissy -, M. Andreu étonne par sa modestie et par son absolue franchise.

«Pour l'opéra, je suis allé en Chine tous les mois pendant 10 ans, raconte-t-il. Après, j'étais très fatigué. Le baby blues existe pour les architectes. Je n'avais pas envie de sauter dans un autre projet du genre. Et je suis très ouvert à la vie. Ça a souvent été mieux que je le pensais, j'ai eu beaucoup de chance, sans jamais avoir fait de plan de carrière.»

Montréal culturel

Les travaux (impacts environnementaux, projections, recherche) sur les plans du 2-22 Sainte-Catherine «vont vite sans se précipiter», assure-t-il. Il visite Montréal régulièrement et arpente la ville avec plaisir.

Paul Andreu est venu ici la première fois pour l'exposition universelle de 1967 et à deux reprises par la suite, voir le Stade olympique de son collègue à l'Académie, Roger Taillibert, et la Place Ville-Marie, notamment.

«Ça marche formidablement, Ville-Marie, croit-il. Il a été bien entretenu et refait. C'est un grand bâtiment. À Montréal, il y a de vieux bâtiments de qualité. C'est une ville agréable, bonne à vivre. Je m'y sens comme à la maison.»

Le Français ne perçoit pas ici cette urgence qu'a la Chine moderne d'affirmer son identité.

«Ici, il y a peut-être trop de terrains inoccupés, dit-il. Mais c'est une occasion qui n'existe pas ailleurs. Sans boucher tous les trous, on peut faire évoluer la ville. Une ville qui n'évolue pas du tout meurt.»

L'Amérique

Curieusement, à part avoir gagné un concours pour un projet d'aéroport en Floride, dont la construction a été repoussée, Paul Andreu n'a réalisé aucun autre projet en Amérique du Nord.

Mais il rejette l'idée de faire dans le monumental. Il cherche l'équilibre entre les espaces privatifs des divers groupes qui occuperont le 2-22 - la Vitrine culturelle, CIBL et Olivieri, entre autres - et le vivre-ensemble.

«Il ne faut pas que ce bâtiment soit une démonstration de force et qu'on dise: ô quel génie! On n'a pas besoin de ça. Ce sera plutôt: ô comme on y est bien, comme dans la ville», pense-t-il.

«J'ai beaucoup d'ambition pour ce bâtiment, admet-il. Il ne faut pas s'attendre à quelque chose de fou. Non, non, non. Ce sera un bâtiment bien fait, vivant, raisonnable, mais ambitieux en même temps. Si j'arrive à faire ça, je serai content. C'est mon défi. Si ça marche, ce sera un pas pour la culture, la vraie.»