Scène musicale réputée, écrivains primés, théâtre en ébullition, la création anglo-montréalaise vit un regain. Ce dynamisme correspond à la première augmentation du nombre d'anglophones en 30 ans au Québec, remarque l'ouvrage Minority Report.

Durant la première moitié des années 2000, le nombre d'anglophones a augmenté de 2,7% au Québec, selon les données du recensement de 2006. Ce constat ne marque pas seulement le renversement du mouvement d'exode amorcé en 1976, il est aussi l'un des facteurs du regain que connaît la scène artistique anglo-montréalaise, selon le recueil d'essais Minority Report.

«L'augmentation ne se limite pas à la communauté artistique, mais parmi les artistes, il y a une croissance énorme», constate Guy Rodgers, directeur du English-Langage Arts Network (ELAN), une organisation fondée en 2005 pour rassembler les artistes anglophones du Québec. Le pourcentage d'artistes dans la communauté anglo-montréalaise est d'ailleurs plus élevé (0,99%) que les moyennes canadienne (0,65%) et québécoise (0,56%), souligne d'ailleurs un rapport de Patrimoine canadien.

L'effervescence de la création anglo-montréalaise a été soulignée ces dernières années à la faveur du succès international d'Arcade Fire. Minority Report souligne toutefois que le bouillonnement n'est pas limité à la musique: la scène théâtrale a connu une vitalité inimaginable il y a 25 ans, y écrit Marianne Ackerman, et le même constat s'impose au sujet de la communauté littéraire.

«Il y a une plus grande proportion d'écrivains dans le milieu anglophone au Québec qu'ailleurs au Canada et que dans le milieu francophone au Québec», souligne d'ailleurs M. Rodgers. Ceux-ci ne sont pas seulement nombreux, plusieurs sont prisés ou ont été primés à l'échelle internationale: Rawi Hage, Louise Penny, Jeffrey Moore et Trevor Ferguson (John Farrow).

Qu'est-ce qui a changé? Montréal possède désormais une «masse critique» de créateurs et de citoyens anglophones, avance M. Rodgers. Le nombre de personnes qui déclarent parler principalement l'anglais à la maison a d'ailleurs augmenté de 5,5% entre 2001 et 2006. Statistique Canada conclut d'ailleurs que le mouvement d'exode des anglophones a diminué et émet l'hypothèse que parmi ceux qui étaient partis en Ontario et dans l'Ouest, certains reviennent.

Les anglophones seraient aujourd'hui plus à l'aise avec leur statut minoritaire au Québec, estime le directeur d'ELAN. «Il y a 40 ans, les anglophones qui traversaient le boulevard Saint-Laurent étaient rares. Ce n'est plus le cas. Il y a aussi beaucoup de gens qui essaient d'êtres bilingues», dit-il.

L'effervescence, bien que porteuse, a ses mauvais côtés: fin octobre, pas moins de 13 pièces en anglais ont pris l'affiche la même semaine à Montréal. «Il n'y a pas assez de public pour ça», constate M. Rodgers. Trouver un public constitue un défi énorme pour les artisans du théâtre anglo-montréalais.

M. Rodgers croit que ce milieu gagnerait à tisser des liens stratégiques avec les institutions francophones. Deux d'entre elles, La Licorne et Espace Go, présentent d'ailleurs des productions en anglais ou bilingues cet automne. M. Rodgers estime néanmoins qu'il est «trop tôt» pour songer à une intégration plus courante de productions anglophones dans les théâtres francophones.

«Pour nous, ce serait souhaitable, mais je ne sais pas si ce le serait pour les francophones. Notre langue n'est pas en péril, même si les superproductions américaines aplatissent tout sur leur chemin», explique M. Rodgers. La position des artistes anglophones associés à ELAN est claire, selon lui: le français doit être la langue commune au Québec, mais il faut aussi reconnaître la création qui se fait en anglais. «On voudrait être perçus comme des alliés plutôt que comme des ennemis», dit-il.