Né dans un banc de neige du Nunavut alors que le Nunavut n'existait même pas, Tomson Highway n'est pas un Cree comme les autres. Coloré, fou, ouvertement gai et furieusement doué, celui qu'on surnomme le Michel Tremblay du Nord est de retour à Montréal avec Une truite pour Ernestine Shuswap, titre de la pièce qui ouvre la saison du théâtre Espace Go.

Tomson Highway arrivait de Rouyn-Noranda, où il avait joué du piano en donnant une conférence sur un des mille sujets dont il est un spécialiste, et qui vont de la littérature aborigène au théâtre autochtone en passant par la mythologie universelle, la musique et la diversité raciale. Je m'attendais à voir franchir les portes de l'aéroport un universitaire sérieux à la voix grave et basse, arborant cheveux gris et veste de tweed. Mais c'est un hippie aux cheveux longs, aux habits fripés et au rire tonitruant et contagieux qui s'est adressé à moi dans un franglais joyeux. «J'adore le français!» m'a-t-il annoncé, avant de se lancer dans une longue nomenclature des objets de son adoration, qui étaient si nombreux et si éclatés que j'en ai perdu temporairement mon latin.

 

Nous sommes montés dans une voiture en compagnie des gens d'Espace Go, qui l'accueillaient pour lui montrer un premier montage de sa pièce Une truite pour Ernestine Shuswap, mise en scène par André Brassard avec, dans le rôle-titre, une Pierrette Robitaille méconnaissable.

Dans la chaleur accablante de ce vendredi d'août, sur la banquette arrière de l'auto, j'ai osé une question impertinente sur le nom de famille extraordinairement lyrique de Tomson, mais qui à mes yeux ne pouvait être que faux et inventé. Highway, c'est une blague, non?

«Pas du tout, s'est écrié Tomson d'un air faussement outré. C'est un nom d'origine celtique. Mon père s'appelait réellement Joe Highway. C'était un chasseur de caribous et un champion mondial de la course à traîneaux de chiens, marié à ma mère Pélagie. Pas Pélagie la charrette. Pélagie Philomène Highway. J'aime à croire que c'est un nom de descendance irlandaise et qu'il y a, quelque part dans notre généalogie, un grand écrivain irlandais qui m'a transmis 2% de son sang. Ce n'est probablement pas le cas, mais j'aime le croire.»

La religion, vraie coupable

Né en décembre 1951, 11e des 12 enfants de Joe et Pélagie, Tomson, comme tous les autochtones de sa génération, a été arraché à sa famille et à son tipi avant d'être expédié dans un pensionnat catholique où la langue crie était rigoureusement interdite. Il a lui-même raconté dans un roman (The Kiss of the Fur Queen, publié en 1998) qu'il a été agressé sexuellement. Sauf qu'il a depuis décidé de faire, sinon du révisionnisme historique, a tout le moins de présenter les choses sous un angle nettement plus positif.

«Arrêtez-moi toutes ces histoires d'abus! Je ne suis pas une victime, ni un survivant des pensionnats. Je suis un diplômé de l'école privée comme les fils de la reine. C'est à l'école privée que j'ai appris à lire, à écrire et à parler anglais. Le plus grand abuseur de cette histoire, ce ne sont pas les prêtres ni les soeurs, c'est la religion catholique, une religion qui interdit le plaisir, qui valorise la souffrance et qui pense que la violence envers les femmes est moins mauvaise que l'amour entre deux hommes. C'est elle, la vraie coupable.»

Voyant mon étonnement devant un discours si peu porté sur la victimisation, Tomson en rajoute. Au lieu de décrire le moment douloureux où il a été arraché à la nature et à sa vie nomade et libre, il raconte ceci: «Quand je suis monté dans l'hydravion avec les autorités, mon père n'a rien dit. Du moins pas verbalement. Mais son message émotionnel était le suivant: le monde est en train de changer, mon fils. Va à l'école, étudie, sois heureux, aventureux et reviens-nous avec tout ce que t'auras appris.»

Et le déracinement?

«Quel déracinement? Chaque été, je revenais passer deux mois au Nunavut avec ma famille dans un domaine de 50 lacs à l'eau pure et buvable. Tous les jours, je partais en canot avec mon père pour pêcher pendant 14 heures. En connaissez-vous beaucoup des petits garçons qui passent 14 heures par jour pendant deux mois avec leur père? Toute ma vie a été un miracle et un tour de magie après l'autre.»

La révélation des Belles-Soeurs

Ce statut de miraculé, auquel Tomson Highway tient tant, l'a rendu reconnaissant. C'est pourquoi après des études poussées en piano, puis en théâtre, au lieu de choisir la voie artistique, il a choisi celle du travail social. Pendant sept ans, de l'âge de 23 ans jusqu'à 30 ans, le futur dramaturge et émule de Michel Tremblay a fait du travail social auprès des autochtones dans les quartiers défavorisés de Toronto, dans les réserves et dans les prisons. Mais encore une fois, il évite de parler de la misère qu'il a vue sinon pour dire que le travail social lui a permis de plonger au coeur de la condition humaine.

«Après cela, je suis devenu un dramaturge par accident, à 32 ans, en voyant Michel Tremblay apparaître nu dans mon salon», lance-t-il dans un grand éclat de rire.

La vraie histoire, c'est que Michel Tremblay lui est apparu grâce à la production des Belles-Soeurs en anglais, à Toronto.

«Pour moi, il y a avant et après Les Belles-Soeurs. Avant, ce pays n'existait pas pour moi, du moins pas au plan des mythes et de la culture. Les Belles-Soeurs m'a montré que c'était possible d'écrire sur nous-mêmes, possible de partir d'une expérience locale et personnelle pour en faire quelque chose d'universel. Cela dit, je ne suis pas Michel Tremblay. Je suis Tomson Highway et croyez-moi ce n'est pas plate d'être moi. C'est excitant, orgasmique même.»

De cette révélation ressentie au contact des Belles-Soeurs est née la pièce The Rez Sisters, l'histoire de sept Amérindiennes d'une même réserve, en route pour le gros bingo au monde, chacune portant une bonne réserve d'humour pour masquer les douleurs et les rêves brisés de leur vie. Un dramaturge venait de naître. Créée en 1986, la pièce remporte un immense succès à Toronto, mais aussi au prestigieux festival d'Edimbourg. Idem pour Dry Lips Oughta Move to Kapuskasing, la deuxième d'une longue suite de pièces. Puis en 2004, un théâtre de Kamloops, en Colombie-Britannique, demande à celui qui est maintenant une figure marquante de la dramaturgie canadienne et un lauréat des prix du Gouverneur général d'écrire une pièce pour célébrer les 100 ans du cahier de doléances que les Amérindiens ont présenté à sir Wilfrid Laurier, en 1910, lors d'un gros pow-wow entre Blancs et autochtones.

«Ils m'ont envoyé le document. C'était un truc ennuyant comme la pluie écrit par un fonctionnaire, mais le document était accompagné de quatre photos de femmes et de leur mini-bios. Ce sont elles qui ont préparé le banquet pour 2000 convives, elles qui ont mis la table et fait la vaisselle. L'Histoire, comme d'habitude, les a oubliées. Je n'avais rien à dire sur les chefs autochtones ou sur les politiciens. Ce qui m'intéressait, c'était ces femmes. J'ai écrit Une truite pour Ernestine Schuswap pour leur rendre hommage.»

Comme dans l'oeuvre de Tremblay, les femmes sont souvent au coeur de celle de Tomson Highway. Mais contrairement à Tremblay, Tomson ne parle pas beaucoup de sa mère et ne la voit pas comme une grande source d'inspiration. Il évoque avec plus de chaleur son père, Joe, et son frère, René Highway, un danseur mort du sida.

Il y aurait encore mille questions à poser à cet homme charmant, désarmant et singulier, mais le temps file. Tomson doit rencontrer toute la troupe d'Ernestine, puis enregistrer la voix d'une divinité amérindienne qui sera intégrée à la trame sonore de la pièce. Il doit aussi s'envoler pour le sud de la France, où il vit la moitié de l'année, quand il ne donne pas une conférence à Londres, un récital de piano à Barcelone, tout cela sans jamais oublier que si Ernestine finit par obtenir sa truite, c'est parce que l'auteur de ses jours croit encore et toujours aux miracles.

Une truite pour Ernestine Schuswap, de Tomson Highway, du 15 septembre au 10 octobre au théâtre Espace Go.