C'était la fiesta latina à la Maison-Blanche: Barack et Michelle Obama à une table, Jennifer Lopez et Marc Anthony à celle d'à côté, tous en train de se trémousser sur leurs chaises pendant que, sur scène, Sheila E. faisait trembler les murs... du moins la toile de tente du chapiteau géant dressé sur la pelouse sud.

Ça se passe comme ça depuis l'arrivée des Obama: on entend toutes sortes de musiques, du rock au jazz en passant par le country ou le classique, au 1600, Pennsylvania Avenue.Les présidents américains ont toujours utilisé la Maison-Blanche comme une vitrine artistique. Au début des années 1880, Chester Alan Arthur, le 21e président des États-Unis, avait ainsi organisé le premier concert officiel dans l'East Room, la grande salle qui accueille les cérémonies officielles.

Mais le couple Obama a fait entrer fraîcheur et diversité, en n'invitant pas seulement les légendes vivantes et monuments nationaux, mais aussi de jeunes talents.

La semaine dernière à la Fiesta Latina, de nouveaux visages comme ceux des quatre garçons d'Aventura, le groupe de bachata dominicaine auteur de la chanson Obsesion, ou de la sensation pop mexicaine Thalia, (qui a même réussi à attirer Barack Obama - brièvement - sur le plancher de danse) partageaient ainsi l'affiche avec le sexagénaire José Feliciano.

Dès le premier jour, les Obama avaient donné le ton de cette présidence mélomane, en invitant les musiciens de jazz du Wynton Marsalis Quintet à jouer pour une réception privée d'une centaine de personnes fêtant l'investiture.

Un mois plus tard, les rois du funk, Earth, Wind and Fire, venaient chanter pour les gouverneurs américains reçus à la Maison-Blanche. Puis, ce fut le grand hommage à Stevie Wonder, avec entre autres le crooner Tony Bennett, la chanteuse de country Martina McBride et Stevie Wonder lui-même. C'était un peu «le meilleur groupe de reprises de Stevie Wonder de l'histoire», comme a dit Barack Obama...

Depuis, les concerts de la Maison-Blanche font un zigzag incessant le long du spectre musical. Tout a commencé par du jazz un jour de juin, avec un atelier dans la journée pour 150 jeunes musiciens et un concert le soir avec le clarinettiste d'origine cubaine Paquito D'Rivera. En juillet, c'était le tour de la musique country avec Alison Krauss et Union Station, Brad Paisley et le vétéran Charley Pride. Michelle Obama n'a pas caché qu'elle voulait que ses filles, Malia et Sasha, «connaissent toute sorte de musiques et pas seulement du hip-hop».

L'homme qui coordonne ces interludes musicaux à la Maison-Blanche, c'est Joe Reinstein. Les Obama ont clairement dit dès le départ qu'ils souhaitaient mettre en valeur «ce que l'Amérique peut offrir de meilleur et de plus brillant», explique-t-il. Mais le couple présidentiel a laissé en revanche beaucoup de liberté quant aux choix des genres et des artistes.

«On savait qu'ils aimaient le jazz, donc c'était facile de commencer par ça», explique Joe Reinstein, dont le CV musical se limite à avoir joué dans un groupe quand il était petit et à aimer écouter de la musique. «Maintenant, on essaie de passer par le maximum de genres musicaux possibles.»

Prochain concert sur la liste: du classique, en novembre. Mais la Maison-Blanche songe déjà à organiser des événements autour de l'opéra, de la danse et du cinéma.

Et Joe Reinstein sait qu'il a peu de chances d'essuyer des refus quand il appelle les artistes. «Je suis tout excité de leur parler, et ils sont tout aussi excités de recevoir un appel de la Maison-Blanche», confie-t-il. «Ils sont tout tremblants, moi aussi.» D'ailleurs, certains n'attendent pas une invitation, ils se portent volontaires. «Ma boîte de courriels est remplie d'une bonne partie des talents de l'Amérique.»

Jouer à la Maison-Blanche revêt une signification toute particulière, même devant un public restreint, reconnaissent les artistes. Et nombre des soirées présidentielles étant en plus retransmises à la télévision, l'impact est d'autant plus grand.

Le chanteur d'Aventura, Romeo Santos, reconnaît que le groupe ne pouvait rêver à un meilleur moyen de lancer sa tournée américaine. Il a d'ailleurs cru que son gérant plaisantait quand il a annoncé que la Maison-Blanche avait appelé. «C'est vraiment puissant», dit-il. «Et cela apporte à la musique latino le respect du grand public.»

«Souvent les minorités sont traitées comme des citoyens de seconde zone», avait confié le chanteur-compositeur de Los Lobos, connu pour La Bamba, pendant les tests de son de la Fiesta Latina. «On n'a pas cette impression aujourd'hui.»

Dans l'histoire, la Maison-Blanche s'est peu distinguée par l'audace de sa programmation musicale, avec quelques exceptions notables et beaucoup de moments inattendus, explique la musicologue Elise Kirk. Au début du XXe siècle, Theodore Roosevelt a fait entrer ainsi la musique américaine, la musique de chambre et les écoles modernes française et russe «à une époque où ces styles étaient à peine reconnus dans notre pays». Et en 1972, trois semaines avant le voyage décisif de Nixon en Chine, une chanteuse du nom de Carol Feraci, avait choqué le public en déployant une banderole bleue «Arrêtez le massacre» en signe de protestation contre la guerre du Vietnam.