Il s'appelait Bobbie, Bobbie dit «Le tueur»... C'est l'histoire d'un marginal de village dont les habitants défigurent le personnage en lui prêtant les pires intentions. Voilà ce qu'a d'abord entonné Fred Fortin, samedi soir à l'eXcentris.

Les guitares se sont mises à réchauffer la salle. Lentement. Ce lieu «toutte symétrique 5.1» pour reprendre l'observation du chanteur, se prête-t-il aux soirées délurées auxquelles il nous a habitués? Poser la question...

On a beau avoir remonté la scène d'un mètre pour que tous puissent voir convenablement ce qui se passe devant, on a beau avoir aménagé un bar éphémère à l'intérieur, démarré la performance à l'heure normale du rock dans les clubs (autour de 22 h), cette impression de peupler une salle de cinéma persiste. Lent décollage de cette rentrée montréalaise, donc.

Fred fait Bobbie puis la Merveille Masquée, des pièces de tempos relativement lents. Circonstance oblige, on est ensuite dans Le cinéma des vieux garçons avec une intervention circonspecte de Jocelyn Tellier au lap steel. Pendant que l'as musicien use d'une des nombreuses cordes de son arc, l'auteur-compositeur exhale le Lac Saint-Jean dont il est issu, même s'il est aussi un gars de Montréal depuis de nombreuses années.

Cette fois à la guitare, Tellier fait monter la fièvre de quelques degrés dans Lucia une pièce de Fred assez prog, dont la structure laisse à son soliste le loisir de s'exprimer. Le décor est-il planté? Ça s'en vient. Robeur, un chien dépressif perdu dans le rang six en train de tourner après sa queue, est le récit d'une power ballade à saveur indé dont seul Fred a le secret. La chanson prépare l'arrivée de Ti-Chien aveugle. Autre prétexte canin, cette fois une pièce instrumentale d'où surgissent les grandes qualités de musicien de Fortin, la maîtrise de ses références les plus pointues (hard rock, prog, jazz, etc.) et les excellents acolytes qu'il s'adjoint.

Il faut dire que la combinaison de Jocelyn Tellier et d'Olivier Langevin est idéale. La profondeur harmonique de Tellier (qui passe chez Dumas pour les mois à venir) complète la palette des références rock et le feu de Langevin. Ce dernier, il faut le redire, est un musicien complet, intense et intelligent, on le verra briller à des moments-clés de la soirée.

Ti-Chien nous rappelle à l'ordre: on est devant un de nos plus doués. Sens de la musique bien au-delà des structures chansonnières, sens de la parole, sens de la recherche, imagination, charme, humilité, convivialité. À partir de cette puissante décharge, on a le sentiment de retrouver le Fred qu'on veut entendre sur scène. Testament et Madame Rose s'ensuivent, on avale deux chroniques poétiques sur des accès tragiques de violence humaine. Pendant que Rose rumine le sort qu'elle a jeté sur son bourreau de conjoint, on s'achemine vers l'entracte.

Au départ, m'a-t-on informé, le guitariste René Lussier devait ouvrir pour Fred. Vu l'impossibilité de suivre le plan initial, Fred Fortin a cru bon de scinder son spectacle en deux parties, pour aussi permettre à ses convives d'étancher leur soif. Erreur. La pause est un supplément à l'anti-climax. L'occasion de se questionner de nouveau sur la pertinence d'un show électrique dans un amphithéâtre hi-tech, parfaitement équipé pour le cinéma et la performance multimédia.

Fortin et ses potes en sont conscients, le chanteur aura pris le pouls du public avant la pause. Alors? Le band revient à la charge. D'aplomb. Plastrer la lune en version musclée. D'mande-toé lé très rock, réussie à souhait. Conconne à saveur country. Le Mur plus rock que country même avec la slide sur le manche de Jocelyn Tellier. Crescendo d'enfer avec Dérape. Encore plus haut avec Dollorama et de superbes claques assénées pas Olivier Langevin. Grandes Jambes montée sur des rythmes très solidement exécutés par le batteur Justin Allard. Chateaubriand clairement... brillante.

Le rappel sera un condensé de Fortin. Ode sincère et paisible à sa compagne (Mélan), et c'est la fête sauvage avec ce mythe de la fameuse cabane de St-Prime construire par le frangin Fortin (Mumu), le tout coiffé d'un méchant Massacre à l'harmonica. Inutile d'ajouter que l'après Fred-centris est de bon augure.