Émile Proulx-Cloutier ne sait pas ce que c'est d'attendre à côté d'un téléphone. Depuis sa sortie du Conservatoire d'art dramatique il y a à peine quatre ans, il a réalisé trois courts métrages et un documentaire tout en jouant à la télé, au théâtre et au cinéma. Cette semaine, il est revenu sur les planches du Rideau Vert dans la peau d'un jeune prodige du piano en panne sèche. Un rôle de composition pour un jeune premier en pleine ascension.

À 20 ans, Émile Proulx-Cloutier ne croyait pas à l'acteur en lui. Qu'il ait tenu un premier rôle à 10 ans dans le film Mathusalem, puis dans la suite du film trois ans plus tard, n'y changeait rien. Émile Proulx-Cloutier, fils de deux acteurs chevronnés, ne se voyait pas devenir acteur. «Jusqu'à la fin du cégep, je ne suis jamais arrivé à dire: je suis comédien ou je voudrais être comédien. Il y avait comme un blocage», lance-t-il au milieu du bistro où son café et le plat qu'il a commandé refroidissent sous le flot impétueux de ses paroles.C'est la première fois qu'on s'assoit ensemble pour discuter, mais ce n'est pas la première fois qu'on se rencontre. Si je me souviens bien, la première fois que j'ai rencontré Émile, il était pour ainsi dire dans le ventre de sa mère, la comédienne Danielle Proulx. C'était il y a 27 ans. J'ai encore une photo de lui à 1 ou 2 ans, le visage barbouillé, le regard intense, dessinant compulsivement sur sa chaise haute pendant que son père, le comédien Raymond Cloutier, le surveille du coin de l'oeil.

Dans une entrevue réalisée pour un webzine et disponible sur l'internet, Émile raconte qu'il a écrit et tourné son tout premier film, Papa (Jutra du meilleur court métrage en 2005) sans en parler à son père. Puis une fois le montage du film bouclé, il est arrivé chez lui avec un exemplaire du DVD. «J'étais comme un enfant qui vient montrer son dessin et qui veut se faire dire par son père qu'il est Picasso», raconte-t-il dans le webzine.

Dans la photo que j'ai de lui, Émile ressemble déjà à cet enfant entêté qui veut se faire dire qu'il est Picasso. Mais c'était il y a longtemps. Aujourd'hui, le jeune homme de 27 ans qui est devant moi a gagné en maturité ce qu'il a perdu en entêtement puéril. On sent qu'il se questionne beaucoup sur lui-même et sur le monde, qu'il est opiniâtre, engagé, mais jamais hargneux et que le doute l'habite plus que la certitude. À cet égard, il ressemble peu à Stephen Hoffman, le jeune prodige arrogant et sûr de lui qu'il joue aux côtés d'un Jean Marchand, prodigieux dans le rôle d'un vieux prof de chant marqué par la vie, hanté par son passé et tentant d'insuffler un peu d'âme à cet élève trop doué dans l'Autriche de 1986.

«Mon personnage est un champion de la technique, raconte Émile. Il joue de manière impeccable, sans jamais se tromper. C'est un pur cartésien, mais il lui manque l'émotion, l'humanité, ce lien essentiel qui fait que la technique devient de l'art.»

De cette dernière remarque naît une question presque inévitable sur l'acteur qu'est Émile Proulx-Cloutier. Estime-t-il avoir réussi à dépasser le mur de la technique, lui qui était encore sur les bancs du Conservatoire il n'y a pas si longtemps?

«La différence entre le pianiste et le comédien, répond-il, c'est que l'instrument du comédien, c'est lui-même. Une fausse note au piano, c'est objectif, mais une fausse note quand t'incarnes un personnage, c'est quoi? La plus grande leçon que j'ai tirée de mes trois ans de Conservatoire d'art dramatique, c'est que jouer, c'est être honnête et courageux. On ne monte pas sur scène pour se cacher et ce n'est pas vrai que les acteurs sont d'habiles menteurs. Pour jouer, il faut aller chercher la vérité en soi. Mon père, qui n'est pas le genre à me donner des trucs, m'a dit un jour ceci: ce n'est pas nécessaire de convoquer la douleur à chaque fois que tu joues, mais si jamais douleur il y a, sers-t-en. Ne la refuse pas.»

Un long détour

Avant de comprendre cela, Émile a fait un long détour qui l'a tenu éloigné de la scène pendant près de cinq ans. À la fin de son secondaire au collège Notre-Dame, après avoir abandonné le piano pour cause d'anxiété, puis décidé qu'il ne serait pas comédien, peut-être pour les mêmes raisons, il s'est inscrit au cégep Ahuntsic en cinéma. Même s'il n'avait plus joué depuis Mathusalem, il s'est joint à la troupe de théâtre du cégep.

«Jusqu'à ce moment-là, je connaissais surtout les plateaux de cinéma, mais le fait de pouvoir travailler sur une pièce pendant deux ou trois mois sans trop de pression et en prenant le temps d'approfondir le texte a réveillé quelque chose en moi. Je me suis rendu compte que je ne serais pas heureux dans la vie si j'étais privé du plaisir de la scène.»

Après une année de flottement où il a un peu voyagé et tourné son premier court métrage, Émile a été accepté au Conservatoire d'art dramatique. C'était en 2003. L'année suivante, dans la foulée des mouvements de contestation étudiante, il a pour ainsi dire porté son premier coup médiatique. L'idée a germé au sein des élèves du Conservatoire, soucieux de montrer qu'ils étaient solidaires avec les étudiants des universités opposés à la hausse des droits de scolarité. Sans avertir personne (surtout pas leurs profs) et sans demander la permission à qui que ce soit, ils ont décidé d'interrompre le gala des Gémeaux avec une déclaration sur l'importance de l'éducation. Comme par hasard, c'est Émile qui a hérité de la tâche de faire la déclaration, entouré de ses camarades. «Je ne dis pas le trac que j'ai vécu ce soir-là. Depuis, je n'ai jamais rien connu de comparable», raconte-t-il en frissonnant à ce souvenir.

Pourtant, non seulement tout se déroula sans incident sous l'oeil bienveillant de Charles Lafortune, mais Émile fut invité à Tout le monde en parle la semaine suivante. Sa carrière venait pour ainsi dire de prendre son envol, à une nuance près: «Je ne sais pas ce que ça veut dire, une carrière. C'est un mot que je ne comprends pas», affirme encore aujourd'hui le principal intéressé.

Beaucoup d'énergie

Certains plaideront qu'il n'est pas nécessaire de comprendre le mot carrière quand les projets et les propositions vous pleuvent dessus comme ils pleuvent sur Émile Proulx-Cloutier. De la douzaine d'acteurs de sa promotion en 2006, aucun n'est encore connu. Surtout, aucun ne peut se vanter d'avoir tenu des rôles importants dans deux téléséries (Les hauts et les bas de Sophie Paquin et Toute la vérité), dans deux films (Le déserteur et, en 2010, Opération Casablanca) et au théâtre dans Marie Stuart, dans Les charbons et Une musique inquiétante. Et comme si cela ne suffisait pas au diplômé Proulx-Cloutier, un documentaire (Les petits géants) et deux autres courts métrages (La vie commence et Les réfugiés), qui seront présentés du 29 janvier au 4 février à eXcentris, sont venus s'ajouter à sa courte et prometteuse filmographie qui lui a déjà valu des invitations dans plusieurs festivals et une poignée de prix et de mentions spéciales.

Avec tout ce bouillonnement autour de sa personne, craint-il parfois d'être la saveur du mois?

«J'ai un grand appétit et j'ai beaucoup d'énergie. Cela dit, on vit dans une culture de l'instantané où les jeunes ont l'impression qu'en sortant de l'école, leur vie se joue dans les trois premiers mois et qu'après ça, c'est fini. Ce qui me rassure, c'est de penser que mon père a fait huit ans de tournée avant d'être connu et que ma mère a vécu longtemps très pauvrement comme actrice. Pourtant, les deux sont encore là aujourd'hui, alors que les gens qui étaient hot en 1972, on ne les connaît plus.»

Émile n'a pas exactement répondu à la question, mais plus tard, en parlant de la difficile mise au monde d'un artiste, il avoue que depuis qu'il est sorti de l'école, il travaille très fort pour dépasser la technique et pour corriger ses failles et ses faiblesses. «C'est mieux maintenant qu'avant, c'est clair, mais disons que j'espère avoir une très longue vie sur scène pour pouvoir aller beaucoup plus loin.»

Chose certaine, sa vie sur scène est tellement bien engagée que tout de suite après la dernière représentation d'Une musique inquiétante, Émile se retrouvera avec Jean Marchand pendant deux semaines au Centre Segal des arts de la scène pour jouer la pièce en anglais. Comme quoi ce jeune acteur n'a pas fini de naître, de renaître et de nous épater.

Une musique inquiétante, au Théâtre du Rideau Vert jusq'au 27 février.