Vaniteux au point de se croire au centre d'un monde dont il ne sait pas grand-chose, fasciné par les catastrophes et condamné à mourir, l'être humain est vraiment dans la schnoutte. Mais jamais autant que les comédiens du NTE qui, dans La fin, d'Alexis Martin, pataugeront littéralement dedans.

«On avait envie de faire quelque chose de rigolo, mais on est partis d'un thème un peu sérieux», reconnaît Daniel Brière. La fin, qui prend l'affiche la semaine prochaine à Espace libre, parle de... la fin. De la mort, donc, mais aussi de l'obsession de notre société pour les catastrophes, de l'extinction des langues et des cultures, de la désagrégation des identités et un peu de la rupture amoureuse.

 

Ce n'est pas le sujet rêvé pour faire rire. Or, ce texte d'Alexis Martin, mis en scène par Daniel Brière, est d'abord une création du NTE. Dans ce laboratoire jadis animé par Gravel et Ronfard, quand on critique ou on se prend la tête, c'est toujours «à la façon NTE». C'est-à-dire «de manière amusée, avec un peu de recul et un peu de cynisme», précise celui qui, pour ce spectacle, endosse le rôle du metteur en scène.

La fin, telle que vue par Alexis Martin, n'est pas une finalité, mais un passage. Une variation sur le thème de Lavoisier: «Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.» La pièce évoque d'ailleurs moins la fin du monde que celle d'une époque. «Au fond, ce qui nous intéresse, c'est le changement, expose Daniel Brière. On s'en va vers autre chose et c'est inéluctable.»

Scrutant le présent, l'auteur s'attarde notamment au sensationnalisme qui malmène le journalisme, à l'absurde marchandisation de la mort et à la quête de l'ultime scénario catastrophe qui remplira les coffres d'Hollywood. Projetant son regard vers le futur, Alexis Martin imagine les derniers descendants de l'obscure tribu québécoise et une scène où des archéologues tirent du sol des vestiges de notre civilisation: des disques, des t-shirts et des affiches de Céline Dion.

«Est-ce ce qui va rester de la culture? Et si c'était ça, qu'est-ce qu'on en pense?» demande Daniel Brière. L'équipe de La fin - dont la distribution compte aussi Marie Brassard, Michel Charette et Sharon Ibgui - ne donne pas de réponse. «Il y a de petits scénarios qui se suivent dans la pièce, mais il n'y a pas de dénouement ou une seule interprétation. Il était important pour nous qu'il n'y ait pas de morale ni de dire ce qu'on en pense.»

Élément incontrôlable

Pour Daniel Brière, tout est matière au théâtre: le texte, l'acteur, le décor. Il pousse l'audace plus loin dans La fin en usant d'une substance semi-liquide aux propriétés étonnantes: une matière malléable, presque vivante et extrêmement salissante que l'équipe de production a affectueusement baptisé la «schnoutte». Durant le spectacle, il en coulera sur le décor, sur l'aire de jeu et... sur les acteurs.

«J'avais envie de travailler avec une matière, quelque chose d'incontrôlable et d'organique», explique Daniel Brière. Il a pensé à la terre, mais ça soulève une poussière «épouvantable», il faut l'arroser et ça incommode les gens prédisposés aux allergies. En plus le NTE a déjà joué dans la terre. Le sable? «C'est l'enfer, tranche-t-il, il y en a partout après.»

Ne reculant devant aucune folie, il a opté pour un mélange de fécule de maïs et d'eau, augmenté d'un additif utilisé pour conserver l'uniformité des mélanges de yogourt. «L'élément qui va toujours bouger dans le spectacle, c'est cette fameuse matière, expose le metteur en scène. On la fait le jour même et si on met plus d'eau, elle coulera plus vite, alors que si on en met moins, elle coulera plus lentement...»

Ce curieux coulis, c'est l'élément «expérimental» de cette nouvelle création du Nouveau théâtre expérimental. «La propriété de cette matière-là, c'est qu'elle devient presque dure lorsque tu la tapes et que, après, elle se remet à couler, dit encore Daniel Brière. On l'utilise pour faire des accessoires, pour reproduire des images, ce qui fait qu'on est vraiment dans la schnoutte.»

La fin, du 30 mars au 24 avril à Espace Libre.