L'espace est le même: le plus grand cadre de scène du monde sous le plus grand chapiteau transportable. Les noms des vedettes, certes, ont changé depuis sept ans, tant chez les hommes - et les femmes - que chez les chevaux. Mais la personnalité collective est intacte: Cavalia reste ce mélange unique des arts du cirque et de l'art équestre, acclamé tant en Europe qu'en Amérique pour son caractère innovateur et spectaculaire.

Cavalia, heureux corollaire, est aussi l'une des plus grandes success stories de l'industrie québécoise du spectacle: plus de 2, 5 millions de spectateurs ont assisté aux 1550 représentations données depuis que la troupe a quitté son berceau de Shawinigan, en 2003. Pour sa cinquième visite à Montréal, Cavalia a amarré son quatre-mâts sur la Rive-Sud, à l'intersection des autoroutes 10 et 30 à Brossard, où commencera mercredi un mois de représentations incluant, pour la première fois, une version écourtée d'une heure à l'intention des enfants (à prix réduit, cela va de soi).

«On est déjà rendus à 600 000 spectateurs, à Montréal: c'est 10 fois le Stade olympique!» Normand Latourelle, le patron de Cavalia, n'est pas du genre triomphaliste, mais on sent la fierté du créateur, et du producteur, devant le succès d'«une patente qui fonctionne bien». «À l'origine, j'avais prévu un cycle de trois ans: ça fait sept ans qu'on tourne... Au début, le spectacle comptait 29 chevaux; on en a maintenant 60. Cavalia n'a jamais cessé d'évoluer. Par la force des choses d'abord - les gens vont et viennent - mais aussi parce que le changement fait partie de la culture de notre entreprise.

«Un jour, j'ai appelé le metteur en scène et j'ai dit: on change la finale. Il a dit: pourquoi? elle fonctionne bien. On a quand même changé la finale. Même chose pour le numéro de voltige en rond, qui compte maintenant 12 personnes en piste! J'ai comme approche de toujours défier l'existant.»

De la tête à la planche

Et d'explorer l'inconnu... Comme Latourelle le fait avec Cavalia 2, titre de travail d'un projet qui, depuis 2005, a tranquillement fait son chemin de la tête du «monteux de patentes» à la planche à dessin... et aux tableaux de prévisions budgétaires desquels la conjoncture récente a éloigné bien des investisseurs potentiels. «Il s'agit de capital de risque qui coûte cher», explique l'ancien du Cirque du Soleil qui vient juste de terminer le montage financier du projet qui coûtera dans les 30 millions. «Pour Cavalia 1, je n'avais aucune base de comparaison parce que c'était du jamais vu. Pour le deuxième, j'arrive avec un peu de matière...»

Encore une fois, le caractère nouveau de Cavalia 2 résidera dans l'espace dans lequel évolueront les artistes équins et humains. «Je dessine toujours mon espace d'abord», lance Normand Latourelle en montrant la vue d'artiste (voir l'illustration) de cette scène qui comprend une colline, une forêt et un plan d'eau. «Avec un pont de bois pour entendre le bruit des sabots, qui manquait à Cavalia 1.»

La deuxième étape consiste à concevoir un chapiteau pour abriter cette scène tirée du paysage appalachien que Latourelle nous montre par la fenêtre de la maison du domaine de Sutton où était réunie cette semaine toute la cavalerie: les retraités, les artistes de Cavalia 1 qui achèvent leur congé, les chevaux qui s'entraînent pour C2 et les jeunes chevaux «neufs» qu'on verra un jour sur la piste.

Les ingénieurs d'une firme milanaise travaillent présentement à la conception d'un chapiteau «suspendu», c'est-à-dire sans mât, de 150 mètres par 50 (un terrain de football!) qui abritera l'immense scène (50 x 50 m) et les gradins de 2000 sièges. Ce nombre de places (occupées) assure la rentabilité d'un spectacle «lourd» qui fait autour de 230 représentations par année, fréquence qui permet de garder les chevaux «frais» tout comme leurs compagnons humains. Le défi de ce nouveau chapiteau se pose aujourd'hui en termes logistiques: combien de camions seront nécessaires pour transporter une structure deux fois et demie plus grande que le chapiteau à quatre mâts actuel, lui-même «à la limite du transportable» ?

En attendant la réponse, Normand Latourelle travaille à établir la liste des éléments équestres qu'il aimerait voir dans son nouveau spectacle. «Nous voulons privilégier la monte à cru (sans selle), pour rapprocher le cavalier du cheval. De façon plus générale, nous voulons réduire au minimum le harnachement des chevaux. Par exemple, on expérimente un numéro de voltige où les chevaux se déplaceraient sans mors, juste avec un licol.» Lundi matin, effectivement, nous avons vu Mohamed Achoune s'entraîner avec Zlatan, un belge de 2000 livres qui, sans frein de fer dans la bouche, galopait placidement autour de la piste circulaire, une oreille vers le maître au sol, l'autre vers l'acrobate qui faisait des galipettes sur son dos.

Celui qui, ultimement, délimitera l'étendue de ces explorations s'appelle Benjamin Aillaud, le nouveau directeur équestre de Cavalia avec qui nous nous sommes brièvement entretenu par Skype. «Mon défi consiste à rassembler les cultures», dira d'abord Aillaud, 31 ans, qui a touché à toutes les disciplines équestres - dressage, saut, liberté, etc. - avant de se consacrer à l'attelage à quatre chevaux, sport exigeant où il a été triple champion de France (2005-2006-2007) et vice-champion du monde (2007). «La priorité réside dans la relation au cheval qui, quelle que soit la discipline, doit s'articuler autour d'une culture commune de partage et d'écoute. L'acrobate, de par ses techniques, a sa propre relation avec le cheval sur scène; même chose pour le cavalier. Notre objectif est d'arriver à une seule culture, afin d'amener le cheval-athlète à un équilibre optimal entre le physique et le mental.»

La scénographie du nouveau spectacle a été confiée à Guillaume Lord, un crack de théâtre qui a travaillé entre autres au Cirque du Soleil et au cirque Éloize; ici, le scénographe de Don Juan ne devrait pas manquer de matière. Mais qui fera la musique? Michel Cusson, comme dans le spectacle original, ou une autre sommité internationale? Et les éclairages? Doit-on prendre une chance avec un autre qu'Alain Lortie pour prétendre à la nouveauté complète? Des gros noms à trouver ou à retrouver...

Normand Latourelle veut présenter Cavalia 2 à Montréal en septembre 2011. Cavalia 1, entre-temps, va retourner dans l'Ouest américain le mois prochain et, ensuite, ira peut-être à Paris ou à Londres, des territoires inexplorés. Il y a aussi des offres du Moyen-Orient où Sylvia Zerbini ferait un malheur avec ses neuf arabes en liberté...

«Décisions d'affaires», dit Normand Latourelle qui doit aussi, éventuellement, trouver un nom à son nouveau spectacle: «Le titre va venir naturellement de l'évolution du projet. Ça va s'appeler Cavalia quelque chose...»

Cavalia, spectacle équestre présenté sous chapiteau en face du complexe DIX30 à Brossard, du 21 juillet au 15 août. Pour info: www.cavalia.net.