Le metteur en scène français Kristian Frédric croit aux rencontres. Entre auteur, acteur et metteur en scène. Jaz fait clairement partie de ces rencontres. D'abord avec l'auteur ivoirien Koffi Kwahulé, et ensuite avec la comédienne québécoise d'origine haïtienne, Amélie Chérubin-Soulières, qui interprétera seule la parole d'une femme «en cage».

Qu'est-ce qui relie l'auteur ivoirien Koffi Kwahulé, le metteur en scène français Kristian Frédric et les acteurs Denis Lavant et Sébastien Ricard? Réponse: La nuit juste avant les forêts, de Bernard-Marie Koltès.

Eh oui! Puisque Kristian Frédric a monté ici en 2004 La nuit juste avant les forêts avec l'acteur Denis Lavant; qui l'a mis en contact avec l'auteur ivoirien Koffi Kwahulé; qui lui a confié sa pièce Big Shoot, présentée ici en 2007 avec Sébastien Ricard et Daniel Parent, dans une mise en scène de... Kristian Frédric.

Aujourd'hui, Sébastien Ricard joue La nuit (dans une mise en scène de Brigitte Haentjens), et revoici Kristian Frédric avec un autre texte de Kwahulé, Jaz, avec cette fois une comédienne québécoise, Amélie Chérubin-Soulières. Et voilà la boucle bouclée, gracieuseté de Koltès.

Kristian Frédéric aime ces recoupements. Parce qu'ils résultent de rencontres signifiantes. Pour lui, les comédiens ne sont pas interchangeables. Cette fois encore, le metteur en scène français a eu le coup de foudre pour sa protégée, Amélie, qu'il compare sans hésiter à une Antigone moderne -elle et son personnage.

«Je me sens une responsabilité pour les acteurs avec qui je travaille, dit Kristian Frédric dans les bureaux du Théâtre des deux mondes transformé temporairement en chantier. C'est eux qui sont dans l'arène, qui font face au public, qui défendent une vision, qui se mettent à risque!»

Parlons-en de celle qui va se mettre à risque! Diplômée de l'École nationale de théâtre en 2003, Amélie Chérubin-Soulières a beaucoup joué au théâtre (L'Odyssée, Le traitement), à la télé (Virginie, Tout sur moi) et au cinéma (Un dimanche à Kigali, Les 7 jours du talion). Pour ce rôle de composition, la comédienne d'origine haïtienne a dû se mettre au créole pour interpréter quelques segments dans sa langue maternelle (elle ne parle pas la langue puisqu'elle a été adoptée par des parents québécois à l'âge de 3 ans);

Son personnage, qui s'appelle Jaz -rien à voir avec le genre musical- est séquestrée dans un lieu indéfini. Ce pourrait être la conséquence d'une guerre, mais Kwahulé ne rentre pas dans les détails. «Elle est dans un espace où elle ne peut pas s'échapper, explique Kristian Frédric. Elle est contrainte, observée, manipulée, elle ne peut s'exprimer.»

«Comme un cadeau»

Et pourtant, elle parle, elle bouge, elle trouve le moyen de prendre la parole. «Pour moi, ce rôle était comme un cadeau, confie Amélie Chérubin-Soulières, qui a obtenu le rôle en jouant un extrait de Phèdre. Avec la parole de cette femme, sa sensibilité, sa rage, sa vulnérabilité. Et malgré tout ça, elle continue.»

Kristian Frédric insiste: «Amélie n'est pas seule sur scène. Elle est filmée; et puis elle est attachée par la taille et les bras à une structure rectangulaire qui ne cesse de se transformer.» Un autre parallèle avec La nuit, puisque que Denis Lavant avait aussi le pied attaché à un rail. «Vous savez, dit-il, Enke Bilal, qui a travaillé sur le décor de La nuit, m'a dit un jour: on fait toujours le même film, la même bédé, le même spectacle.»

Amateur d'arts visuels, le metteur en scène français dit s'être notamment inspiré des oeuvres de Dali et des sculptures (comme Cage), d'Alberto Giacometti. Il a même publié un storyboard de Jaz, qui contient, outre le texte de Kwahulé, toutes ses notes, ses références artistiques, littéraires, etc. Autrement, la scénographie a été soigneusement planifiée avec le concepteur sonore Michel Robidoux; la chorégraphe française Laurence Levasseur a également travaillé sur les mouvements de la comédienne.

«Au fond, conclut Kristian Frédric, ça prend beaucoup d'humilité pour entrer dans l'univers de quelqu'un d'autre. Et Amélie parvient à le faire de façon magistrale. À s'approprier la parole de cette femme. C'est pour cela qu'il s'agit d'une véritable rencontre.»

Jaz, du 4 au 15 décembre à l'Usine C.