À compter du 13 avril, la fougueuse Émilie Bordeleau, ses parents Caleb et Célina, son bel Ovila, sa fille Blanche, sa petite-fille Élise et son histoire deviendront dialogues et chansons de la pièce de théâtre chanté Les filles de Caleb. Quelque 25 ans après la sortie du roman à succès d'Arlette Cousture et 15 ans après la mythique télésérie du même nom, toutes les femmes de la famille de Caleb prennent vie sur scène. Et mettent en lumière des personnages de femmes à la fois pionnières, héroïnes et pourtant proches de nous, toutes proches...

Ça ne s'invente pas: lors de la première répétition publique des Filles de Caleb, le 23 mars, le comédien Jean-François Poulin, qui incarne Clovis, le deuxième grand amour de Blanche, était absent: il venait de devenir papa. Tout le monde a évidemment trouvé normal qu'il soit auprès de sa bien-aimée et de son tout nouveau petit bébé, répétition devant médias ou pas. Une situation qui aurait été inimaginable il y a 30, 50 ou 100 ans, du temps de Célina (fin XIXe siècle), d'Émilie (1900), de Blanche (1930) et d'Élise (1960), les filles du clan Bordeleau.

Qui se souvient que, dans les années 1900, il était stipulé dans les règlements de la Loi sur l'instruction publique que les «maîtresses d'école» ne devaient «pas porter de couleurs voyantes», «ne pas se teindre les cheveux», «porter au moins deux vêtements supérieurs dont un châle» et «deux jupons», «ne pas monter en calèche avec un autre homme que leur père ou leur frère»? Qu'il leur était interdit d'enseigner dès qu'elles se mariaient? Et que si Émilie Bordeleau s'est remise à l'enseignement à un moment donné, bien que mariée et mère de 10 enfants, c'est grâce à un curé qui a intercédé en sa faveur et obtenu une dérogation à la loi?

Ça n'est pas si loin, tout cela: «En 1972, j'étais enseignante et je voulais acheter une maison à 25 000 $, raconte Arlette Cousture. Mais la banque me refusait une hypothèque si mon père ou mon conjoint ne m'endossait pas. Or, pour toutes sortes de raisons, ils ne le pouvaient pas. Donc, pas de maison. J'en trouve une autre à 13 000 $? Même chose, même si j'avais les moyens de la payer!» C'était il y a moins de 40 ans...

«Quand j'ai publié Les filles de Caleb en 1985, reprend l'écrivaine, j'avais vraiment peur que le mouvement féministe m'en veuille de raconter l'histoire de femmes qui ne pouvaient rien faire sans la bénédiction d'un homme. Alors qu'en fait, cela a simplement révélé à bien des gens d'où l'on venait.»

Et l'on venait d'un pays de «maîtresses femmes», de femmes fortes, qui avaient toutefois besoin de l'autorisation de leur père pour faire certains gestes... Mais qui se relevaient seules quand un coup dur les frappait: «Je n'arrête pas de parler de ma mère et de ma grand-mère pendant les répétitions parce que c'était des forces de la nature, comme l'étaient Émilie et Blanche, explique le metteur en scène Yvon Bilodeau. Mon grand-père Alphonse avait créé une usine qui faisait vivre le village de Saint-François-de-Montmagny. Mais quand l'usine a passé au feu, il s'est effondré. Ma grand-mère Robertine a levé sa jupe, sorti 7000 ou 8000 piastres de son bas, qu'elle avait patiemment mis de côté au fil des ans, et lui a dit «Relève-toi, Alphonse, on va la reconstruire!»»