Philippe Ducros est à la fois auteur, metteur en scène, acteur, photographe et directeur artistique d'Espace Libre. Autodidacte, grand voyageur et citoyen du monde, il a connu un succès public et critique avec L'affiche en 2009. Avec sa nouvelle pièce, Dissidents, Ducros nous fait encore une fois affronter la dure réalité du monde actuel. Et à la nécessité de prendre la parole dans la Cité pour exprimer son désaccord et son indignation.

L'affiche abordait l'occupation du territoire palestinien. Dissidents parle des dérives du capitalisme, de la mondialisation, d'exploitation et de surpopulation... À partir d'une recherche fouillée, vos pièces soulèvent de grandes questions à propos d'enjeux politiques, de débats de société. Faites-vous du théâtre politique et engagé, du docu-théâtre?

Je ne pense pas faire du documentaire ou du théâtre militant. Je fais de la fiction documentée, mais ça reste une représentation artistique de la réalité. La compagnie Porte Parole fait vraiment du théâtre documentaire. Pas moi, ni Patrice Dubois (NDLR: le metteur en scène et directeur artistique du PÀP qui produit la pièce et a étroitement collaboré à l'écriture de Dissidents.) Nous avons réfléchi sur l'essence des enjeux cruciaux du monde. Sur le pouvoir politico-économique, sur l'action citoyenne et sur la direction que l'un et l'autre vont donner à ce grand paquebot qu'on appelle l'humanité.

Dans Dissidents, un personnage confronte les idées du protagoniste (on se demande s'il s'agit d'un détenu, d'un terroriste ou simplement d'un fou?) sur l'art et la récupération de l'art. Il dit: «Francis Bacon ou Jackson Pollock, c'est futile au fond...» En quoi l'artiste peut-il changer concrètement les choses?

Avec mon art, tout seul, je ne crois pas changer le monde. Il faut voir ça dans une vision plus macroscopique. On n'a pas besoin de faire des changements tout de suite. Mais en poussant sur le balancier chacun d'entre nous citoyens, artistes ou journalistes à notre manière, je crois qu'on peut faire bouger les choses.

Dissidents est aussi une réflexion sur le mouvement des grandes civilisations et les conséquences des dérives du progrès. Êtes-vous contre le progrès?

Depuis l'époque victorienne, le progrès est devenu une vertu en soi. La société contemporaine carbure au progrès pour le progrès. Or, il faut avoir une éthique du progrès. Bien sûr, le progrès a du bon: en médecine, en science, en droit. Le concept de l'égalité des individus, par exemple. Ou du bien commun. Les dirigeants occidentaux doivent au moins prétendre y travailler. À l'époque du colonialisme, ils n'avaient pas besoin de camoufler leur discours de vernis démocratique.

Vous vous êtes inspiré, entre autres, des ouvrages de la militante altermondialiste Naomi Klein, dont No Logo. Est-ce que le capitalisme (le néolibéralisme) est le père de tous les vices?

Mon intention n'est pas de dénoncer le capitalisme, mais de réfléchir sur notre désir d'un monde meilleur et différent. Je regarde le monde autour de moi et je constate que c'est de plus en plus difficile de faire entendre sa dissidence. Les grands enjeux de société et les mouvements de protestations se font facilement (et rapidement) récupérer par le commerce, le pouvoir, les médias de masse. Pourtant, tout le monde est d'accord pour dire une chose: si on ne change pas notre mode de vie, nous fonçons directement vers un mur!

Votre constat est assez pessimiste, sans espoir?

Je trouve ça paniquant, ce qui se passe dans le monde en général et au Canada en particulier. Je ne suis pas le seul. Par exemple, une loi canadienne empêche de poursuivre des sociétés minières pour leurs activités à l'extérieur du pays. Dans la logique du gouvernement Harper, ces sociétés investissent à la Bourse de Toronto (spécialisée dans les matières premières) et contribuent à la croissance de notre économie. Ces mêmes sociétés arment les rebelles au Congo. Et la guerre civile au Congo est le conflit le plus meurtrier depuis la Seconde Guerre mondiale, avec 3 à 5 millions de morts et au moins 1000 viols par jour!

Votre texte montre ce que les humains peuvent faire de pire et de meilleur. Et ce n'est pas toujours évident d'expliquer ce qui nous pousse à choisir entre la violence et la beauté?

Je voulais créer une ambiance de l'ordre du traumatisme, du chaos, du gouffre. Pour comprendre ce qui a poussé le protagoniste à agir pour changer l'état des choses. C'est un gars qui a fait un geste pour exprimer sa dissidence et qui se rend compte que ça ne marche pas... Je veux soulever la question de notre sentiment d'impuissance dans le monde.

Dissidents, de Philippe Ducros, à l'Espace GO du 6 au 31 mars.

La porte du non-retour, le déambulatoire théâtral et photographique de Philippe Ducros, est présenté du 6 au 17 mars à l'espace Occurrence.